Exclus, moqués, roués de coups... A l'école, de nombreux enfants « dys »* vivent un véritable « enfer ». En France, 8 à 10 % des élèves sont concernés par ces troubles, soit en moyenne deux par classe. Selon une étude de la Fédération française des dys (FFDys), réalisée en mai 2019 auprès de 1 500 jeunes, 60 % ont déclaré être victimes de harcèlement scolaire. Les auteurs ? Majoritairement des groupes d'élèves mais aussi des enseignants, désabusés et non formés. Des comportements aux conséquences parfois désastreuses telles que la phobie scolaire, la dépression, voire le suicide... Dans ce contexte, « l'inclusion est-elle toujours synonyme de bientraitance » ? Cette question était au cœur du colloque organisé par la FFDys, le 1er octobre 2019, au centre Pompidou (Paris), à l'occasion de la 13e journée nationale des dys qui aura lieu le 10 octobre. De nombreux évènements (en lien ci-dessous) seront organisés tout au long de la semaine, partout en France, notamment pour sensibiliser le grand public et améliorer l'accès à l'éducation des personnes concernées.
Spirale de l'échec scolaire
« Mon fils a été dépoitraillé en public par ses camarades de classe », témoigne une maman, désemparée. La raison de cette humiliation ? Sa différence. Face à ces comportements, de nombreux enfants dys entrent dans « la spirale de l'échec scolaire », déplore le Dr Michel Habib, neurologue et membre du comité scientifique de la FFDys. Les difficultés rencontrées entraînent un échec dans les apprentissages fondamentaux, puis une baisse de l'estime de soi, qui peut conduire à de l'inhibition, de l'anxiété, du désinvestissement ou encore à des troubles du comportement et de l'agressivité. « Sans le vouloir, les professeurs eux-mêmes sont amenés à participer à cette dévalorisation, constate Alain Moret, professeur de philosophie à l'INSPE (Institut national supérieur du professorat et de l'éducation) de Besançon. Dès la maternelle, à l'occasion d'activités quotidiennes comme la numération, les tout petits sont invités à entourer une quantité donnée ou à relier celle-ci à sa représentation symbolique. Or, confronté à une telle situation, l'enfant dyspraxique ne peut qu'échouer, tout comme le dys-exécutif qui, contraint par une impulsivité qu'il ne peut réprimer, entoure tout. Dans les deux cas, l'enseignant pense avoir évalué leurs compétences numériques quand il n'aura fait que confirmer le déficit de l'enfant, ayant ainsi placé celui-ci en situation de 'double tâche »'. Par méconnaissance, l'enseignant, cherchant pourtant à aider son élève, contribue ainsi à initier un véritable « cycle infernal », où l'enfant ne progresse pas et dont les conséquences en termes d'estime de soi ne pourront être, selon lui, que « calamiteuses ». C'est ce cycle que certains parents décident, le plus souvent par dépit, de rompre en déscolarisant leur enfant. « Les dys souffrent d'une plaie béante, regrette Jean-Carles Grelier, député de la Sarthe. De nombreux destins sont brisés par méconnaissance et incompréhension. »
Des enseignants mis en situation
Pour changer la donne, les intervenants sont unanimes : il est « urgent » de sensibiliser et de former les professeurs aux spécificités des troubles de l'apprentissage. « Et pas seulement deux ou trois heures par-ci par-là ! », souligne Alain Moret. Pour répondre à ce besoin, Philippe Bertrand, doctorant à l'institut de psychologie Paris-Descartes, a configuré un casque de réalité virtuelle qui leur permet de se glisser dans la peau de ces élèves pas ordinaires. Grâce à cette « machine à être un autre », ils voient, ressentent et bougent comme eux, et deviennent, à leur tour, la cible de discriminations : « T'es nul, tu ne sais pas lire ! », « Noah, tu le fais exprès ? Ça fait deux mois qu'on apprend cette règle d'orthographe ! »... Mais, pas évident d'avoir la moyenne en dictée lorsqu'on est dysorthographique, ni de réaliser une soustraction en cas de dyscalculie. « J'ai ressenti une grande injustice », témoigne une enseignante à l'issue de cette expérience immersive, tandis que ses confrères évoquent de la culpabilité, de l'empathie, et même une forme de honte. Véritable outil de sensibilisation, « le projet Réve (Réalité virtuelle et empathie) -qui traduit notre 'rêve' d'une éducation véritablement inclusive- permet d'avoir une vision plus large des difficultés de chaque élève et des discriminations », affirme Philippe Bertrand.
Créer des classes adaptées
En 2018, 20 % des élèves en situation de handicap scolarisés en milieu ordinaire souffraient d'un trouble spécifique du langage. « Et si la logique de l'école inclusive n'était pas applicable aux troubles dys ? », s'interroge Dr Michel Habib. En 2002, Humphrey et Mullins, des chercheurs en psychologie, ont exploré, à l'aide du questionnaire de Marsh (1990), l'estime de soi de trois catégories d'enfants : des dyslexiques scolarisés dans des classes ordinaires, des dys en classes adaptées et des enfants non dyslexiques. Conclusion : il n'y a pas de différence entre les deux dernières. A contrario, « les enfants dyslexiques scolarisés dans des classes traditionnelles ont une estime de soi significativement inférieure ». Pour approfondir ces analyses, Dr Michel Habib a récemment réalisé une expérience dans une école privée de Marseille. Plusieurs élèves dys de 8 à 11 ans ont été admis dans une classe adaptée, au sein de cet établissement ordinaire. Des professionnels du Sessad (Service d'éducation spéciale et de soins à domicile) étaient présents pour faciliter l'articulation entre scolarité et rééducation et ainsi gagner du temps. Des moyens thérapeutiques novateurs étaient également mis en place : rééducation individuelle puis en petits groupes, thérapie basée sur la danse et la musique (dispositif Mélodys)... L'objectif : « proposer un climat de travail scolaire coopératif où les relations entre pairs participent aux apprentissages, aux côtés des apports des enseignants ». Le même questionnaire a été adressé à cette classe expérimentale et à une autre dite ordinaire qui accueillait des élèves dys. Résultats, cette dernière, « même avec une réflexion profonde sur la nécessité d'inclusion, ne semble pas à même d'empêcher un vécu scolaire négatif », déplore Dr Michel Habib.
Des cellules d'écoute
Contrairement à d'autres types de handicap, les troubles dys se manifestent « à l'école et par l'école », poursuit-il. Selon lui, la confrontation au regard de l'autre et la conscience, souvent aigue, de la différence provoque « invariablement une altération de l'auto-estime », débutant très tôt. « Dès lors, à vouloir à toute force appliquer le dogme de l'école inclusive à tous les élèves, on risque d'en pénaliser une grande partie », estime Dr Michel Habib. Son alternative ? Une « inclusion raisonnée », où l'école n'est plus un frein à la restauration des fonctions cognitives. Pour ce faire, il propose de « co-construire un projet rééducatif et pédagogique qui implique l'ensemble des enseignants et des élèves, en revenant régulièrement sur les notions de diversité, de différence cognitive, de bienveillance ». En attendant, des cellules d'écoute (départementales et nationale) sont proposées aux familles des élèves en situation de handicap pour les informer sur les dispositifs existants et le fonctionnement du « service public de l'école inclusive » (article en lien ci-dessous). « Aide handicap école (0 800 730 123) propose, depuis 2007, une médiation entre la famille et l'établissement scolaire », précise Isabelle Bryon, déléguée ministérielle à l'inclusion scolaire. « Surtout, ne perdez pas espoir, conclut Philippe Bertrand. Albert Einstein, Victor Hugo, Steven Spielberg, Léonard de Vinci… Ces grands hommes étaient tous dyslexiques mais ça ne les a pas empêchés d'avoir un parcours fabuleux ! »
* Les troubles des apprentissages, souvent appelés «Dys » sont des troubles cognitifs spécifiques qui affectent le langage oral (dysphasies) le langage écrit (dyslexies) la coordination du geste et les troubles visio-spatiaux (dyspraxies/TDC) ou encore de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H).