Par Arnaud Bouvier
"Je suis très content de vous voir, vous êtes un bon acteur ! Mais excusez-moi, j'aime plus Jean Dujardin, moi." Ce samedi à 20h35 sur France 2, le comédien Gilles Lellouche sera le premier invité des "Rencontres du Papotin", une demi-heure de questions et interpellations déconcertantes posées par des personnes autistes (article en lien ci-dessous). Dépourvue d'animateur, cette émission mensuelle devrait compter huit volets au total, avec à chaque fois un invité différent. La discussion à bâtons rompus entre la personnalité interviewée et les rédacteurs "atypiques" dumagazine "Le Papotin" donne lieu à des échanges savoureux et poétiques.
Docu sur la vie avec un handicap mental ou cognitif
Proposée par Eric Toledano et Olivier Nakache, réalisateurs d'Intouchables et Hors normes, l'émission n'évoque d'ailleurs jamais le handicap des participants. "On ne parle pas d'inclusion, on la pratique !", se félicite Clément Chovin, l'un des producteurs de ces "rencontres", qui voit par ailleurs dans l'horaire de diffusion décidé par France 2, à une heure de grande écoute, un "progrès exceptionnel". Le duo Toledano/Nakache, auteurs de la série télévisée En thérapie, est également à l'origine d'une autre innovation de la rentrée télé. A partir du 22 septembre 2022, Canal+proposera L'épopée joyeuse, une série documentaire de 4x40 minutes sur le parcours de personnes avec un handicap mental ou cognitif, qui trouvent un emploi dans les "Cafés Joyeux", une entreprise ouverte à leur différence (article en lien ci-dessous). Pour Patrice Tripoteau, de l'association APF France Handicap, "toute initiative d'émission consacrée au handicap va dans le bon sens". Toutefois, déplore-t-il, ces deux nouveautés ne peuvent à elles seules masquer la frilosité de la télévision, et des médias en général, à faire davantage de place au handicap.
Seules 0,8 % de personnes handicapées à la TV
Fin 2019, les principales chaînes de télé s'étaient pourtant engagées, à travers une charte non contraignante (article en lien ci-dessous), à ce que les personnes handicapées soient "plus et mieux représentées, sans tomber dans une vision ni misérabiliste, ni héroïque", rappelle Carole Bienaimé Besse, membre de l'Arcom (ex-CSA). Deux ans plus tard, le bilan est "très décevant au regard des enjeux de cohésion sociale et d'inclusion", reconnaît-elle. Selon une étude publiée en juillet 2022 par l'Arcom, seules 0,8 % des personnes qui apparaissaient à la télévision en 2021 étaient porteuses d'un handicap, alors que cette question concerne environ 20 % de Français. Il faut donc "passer à la vitesse supérieure", plaide Mme Bienaimé.
Evoquer d'autres sujets que le handicap
Pour Patrice Tripoteau, de légers progrès ont certes été réalisés, avec par exemple une large couverture des Jeux Paralympiques ou la récente participation du nageur handisport Théo Curin à Fort Boyard. Mais "il faudrait appréhender le sujet différemment", estime ce responsable associatif. "On nous met toujours dans des cases à part", alors que les personnes handicapées "devraient être visibles dans des émissions où l'on parle d'autres sujets, par exemple, qu'un chef d'entreprise handicapé évoque son entreprise, et pas son handicap". Autrement dit, "le handicap doit apparaître naturellement mais en s'effaçant", abonde Frédéric Cloteaux, directeur de la radio Vivre FM, quiconsacre une part importante de ses programmes au handicap. Pour aider les médias à évoluer dans ce sens, M. Cloteaux a lancé une plateforme dénommée "différents points de vue" (dpdv.info), où il référence des experts capables d'intervenir sur des sujets très variés, mais qui sont peu invités habituellement dans les médias en raison de leur handicap (article en lien ci-dessous).
"Pour changer le regard sur le handicap, il faut le montrer ! Si les gens voient quelqu'un s'exprimer sur un domaine dont il est un expert, ils pourront se dire 'ah, il est en fauteuil ? On s'en fiche !'" Ce "changement de regard" reste cependant difficile à évaluer, met en garde le sociologue Eric de Léséleuc, spécialiste de la représentation du handicap dans les médias. "Le film Intouchables a eu une grosse audience. Mais a-t-il vraiment changé le regard sur le handicap ? Plus de dix ans après, on ne le sait pas vraiment".