Pourquoi faudrait-il que les personnes handicapées ne parlent que de handicap, notamment lorsqu'elles sont invitées dans les médias ? Et pourquoi pas d'écologie, de sport, de géopolitique, de sciences, de cuisine, de la pluie et du beau temps ? Pour tenter de changer la donne, « Différents points de vue » voit le jour en avril 2022. Cette base de données en ligne sur dpdv.info entend donner des pistes aux journalistes (TV, Internet, radio, presse écrite…) pour diversifier leur carnet d'adresses d'invités trop souvent récurrents et offrir une diversité de représentations et de points de vue.
Un paysage médiatique éclairé
« Ces experts en situation de handicap peuvent aborder tous les sujets de façon optimale sans mettre leur handicap en avant. Seules leurs compétences comptent », indique Frédéric Cloteaux, directeur de la radio Vivre FM, à la tête de ce projet soutenu par l'Arcom (ex-CSA, Conseil supérieur de l'audiovisuel). « Cet outil est attendu par les médias depuis longtemps », affirme de son côté Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, qui défend la promotion de ces « experts que l'on n'a bien souvent encore jamais vus ni entendus ».
Les porteurs du projet entendent faire de ce vivier un « nouvel automatisme pour les journalistes, les éditorialistes et les bookers » et une « ressource essentielle d'un paysage médiatique éclairé, pluraliste et démocratique ». Mais où réside la plus-value ? « Quand on parle de transport en TGV dans un JT, la vision de la personne handicapée est forcément différente même si elle n'est pas interrogée sur l'accessibilité, détaille Frédéric Cloteaux. Elle a un parcours de vie qui porte un autre regard sur le quotidien. Sans pour autant revendiquer, on espère qu'à la marge cette initiative fera aussi bouger les mentalités. »
Une modération nécessaire
Deux onglets permettent, l'un aux journalistes de trouver la perle rare, l'autre aux candidats de s'enregistrer. Mais encore faut-il passer l'étape de la modération... « On en a refusé pas mal qui se déclaraient spécialistes mais ne l'étaient surtout que de leur handicap », nuance Frédéric Cloteaux qui veut « vraiment éviter ce travers » et assure ne valider que les parcours qui ont une « véritable expertise sociétale » et sont en capacité de commenter des sujets d'actualité. Si cette initiative via le prisme « handicap » est une première en France, elle fait écho à la base de données des « Expertes » qui vise à valoriser la parole des femmes dans les médias ; lancée sur le web en 2015, elle en recense aujourd'hui plus de 7 000 et s'étoffe à l'international. Un partenariat va d'ailleurs permettre d'identifier celles en situation de handicap qui pourraient également intégrer dpdv.info.
Comment ça marche ?
Dans le moteur de recherche, il suffit de taper le domaine recherché pour accéder au bon contact… ou pas ! Ce projet naissant laisse encore quelques trous dans la raquette, par exemple pas de référent pour l'écologie ou l'éducation mais déjà des experts en parfum, conseil en stratégie, analyse des politiques publiques… Une vingtaine de domaines sont référencés qui vont « s'enrichir au fil des mois ». En dépit des intentions, certaines « spécialités » conservent un lien étroit avec la thématique du handicap : emploi et handicap, accessibilité, mobilité, autisme, pair-aidance… « C'est vrai, consent Frédéric Cloteaux, mais ces experts ont aussi d'autres compétences. »
Trouver le bon expert
Des fiches détaillent ensuite le parcours des personnes référencées, avec l'étendue de leurs compétences, leurs ouvrages, les langues parlées et surtout leur contact pour une mise en relation immédiate. Par exemple, Amélie Tsaag Valren précise détenir le record du monde de labellisation d'articles sur Wikipédia ; et c'est bien grâce à l'autisme, non « malgré » l'autisme, précise-t-elle. Dans la catégorie « développement personnel des femmes », c'est Virginie Delalande qui propose son profil inédit ; première avocate sourde de naissance en France, elle fut désignée comme l'une des 40 femmes inspirantes 2020 par Forbes. Dans le domaine de l'accès à la culture, Bertrand Verine, déficient visuel, fait la différence ; enseignant-chercheur en analyse du discours, il s'est spécialisé sur les cinq sens, en particulier le toucher. A ce jour, une cinquantaine de noms sont recensés. La plateforme promet que « les profils et thématiques seront réactualisés en permanence ». Un appel aux experts est donc lancé !