La téléconsultation serait-elle une aubaine dans les déserts médicaux ou pour les patients ayant à des difficultés à se déplacer, notamment en raison d'un handicap ? Cette option qui consiste à consulter un praticien à distance est entrée dans nos mœurs en septembre 2018 avec son remboursement par l'Assurance maladie (article en lien ci-dessous). Puis elle a connu un boom exponentiel à la faveur de la crise sanitaire, les consultations en ligne ayant été multipliées par 100 en avril 2020 selon les chiffres du gouvernement. Au point que le 29 septembre 2020, dans le cadre du PLFSS 2021 (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale), ce dernier annonce que les consultations en visioconférence resteront encore prises en charge à 100 % par la Sécu durant deux ans. Un atout majeur en matière de santé ou une nouvelle habitude à consommer avec modération ? Jean-Luc Corne a un avis sur la question. Ce kinésithérapeute libéral, qui a dans sa patientèle de nombreuses personnes handicapées, ne voit pas forcément d'un bon œil le déferlement de cette relation virtuelle. Le télésoin pour certaines catégories de personnes en situation de handicap est-il vraiment pertinent ? Réponses de ce pro qui se définit comme un « pragmatique »...
Un diagnostic assez performant ?
« Certes, en période de confinement, mieux valait une téléconsultation que rien du tout et il est indéniable que certains actes peuvent se faire par vidéo sans avoir une incidence sur la qualité du soin : séances d'orthophonie, consultations psy, renouvellement ou ajustement d'un traitement après analyse de résultats, visites annuelles de suivi pour patients identifiés comme fragiles par les services hospitaliers… Mais qu'en est-il par exemple de la télékiné pour des patients lourdement handicapés physiques qui peuvent présenter aussi d'autres risques associés comme le diabète, les escarres par manque de mobilisation, avec un moral très volatile et variable d'un jour à l'autre ? Ou encore pour des personnes âgées en perte d'autonomie qui ne maîtrisent pas l'informatique ou ne sont tout simplement pas équipées ?
Les éventuels assistants (infirmières ou autres) présents auprès du patient n'ont pas été formés à la palpation comme les médecins... Un patient pourrait évoquer un point particulier apparu soudainement (maux de tête, rougeur de la peau, perte d'équilibre, difficulté de changement de position, apparition d'œdème...) qui nécessiterait une auscultation approfondie. Dans ces circonstances, la téléconsultation ne peut garantir un diagnostic performant.
Pas un remède miracle
Pour rappel, la médecine n'est pas une science exacte, et les professionnels doivent limiter au maximum le risque d'erreur et pratiquer le soin le plus adapté à la pathologie du patient. Or la téléconsultation et le télésoin kiné ne sont pas adaptés aux cas les plus complexes, comme les personnes porteuses d'un handicap physique lourd, de polyhandicap ou de maladies évolutives invalidantes. Le soin à distance ne doit pas devenir un remède « miracle » aux déserts médicaux ou quand un professionnel fait le choix de ne plus se déplacer... Au Canada, il se pratique de plus en plus mais, sur ce territoire très vaste au climat particulièrement rude où le soignant le plus proche se trouve parfois à 50 kilomètres, il offre des solutions palliatives, encore qu'imparfaites, au manque de professionnels de santé de proximité. Mais en France ?
Avec l'accord du patient, vraiment ?
La téléconsultation ou le télésoin doit être accepté par le patient mais il est facile pour un pro « indélicat » de l'y forcer… Sachant qu'il est compliqué de changer de médecin référent ou de kiné tant leur agenda est plein, il leur suffira de prétexter : « Je n'ai que cette possibilité et, si vous n'acceptez pas, je vous conseille de vous adresser à un confrère ! ». Dans un pays où de nombreux territoires manquent cruellement de libéraux, le rapport de force est souvent en faveur des pros qui peuvent alors imposer leur façon de travailler à leur patientèle. Ne soyons pas naïfs, cet « accord » supposé du patient, garde-fou administratif très officiel, n'offre pas la garantie qu'il y adhère réellement.
Changer les pratiques
La crise sanitaire actuelle est un choc pour tout le monde, qui a révélé les manques et les dysfonctionnements de notre système de santé sur le plan politique, matériel et humain. L'approche professionnelle des soignants, médecins et auxiliaires médicaux, salariés comme libéraux, en a été bouleversée. Travailler mécaniquement jusqu'à l'épuisement pour sauver des vies, affronter la mort d'une personne sans que ses proches ne puissent l'accompagner dignement, l'annoncer à la famille… Cette pandémie a remis au premier rang l'indispensable écoute de la détresse humaine chez les professionnels de santé. Même en ville, il a fallu faire face aux angoisses de certains patients, à la perte d'un proche ou d'un ami. Soigner un être humain, c'est soigner son corps, certes, mais en tenant compte de son état psychique, à l'instant présent. Sauver un patient si son état d'âme le conduit à se suicider est un échec cuisant. C'est pourquoi, dans le monde très spécialisé du handicap physique lourd, j'accorde autant d'importance au mental qu'aux gestes techniques. Désormais, les pros de santé n'ont-ils pas une oreille plus attentive aux inquiétudes, aux questionnements, à une fin parfois proche ? C'est une conséquence positive qui, je l'espère, perdurera dans nos pratiques ; la prise en compte de l'état psychologique du patient avait tendance à disparaître depuis quelques décennies. Cette crise serait un mal pour un bien, peut-être ?
Soin à domicile peu valorisé
Dans ces circonstances, le soin et la visite à domicile ne doivent pas être évincés par la technologie à distance. Or les associations du handicap alertent sur leur manque de valorisation financière. L'indemnité de déplacement des libéraux n'est pas à la hauteur du temps « perdu » à se déplacer, se garer et à soigner les patients chez eux. Bien moins rentable que le cabinet, le domicile est donc petit à petit négligée par les médecins et kinés. La revalorisation de cette indemnité est négociée par les syndicats de chaque profession de santé avec la CNAM (Caisse nationale d'assurance maladie) mais elle est négligée depuis des années, ne faisant qu'accentuer le désintérêt des praticiens. La pratique du domicile n'est en rien une obligation et reste un choix personnel.
Me voilà partagé entre l'espoir d'un sursaut de conscience professionnelle de mes confrères pour le bien de nos concitoyens et la méfiance envers un outil utile, parfois, mais qui pourrait également amplifier l'abandon de la relation en face à face... »