Handicap.fr : Lorsqu'on évoque la paralysie, on imagine surtout celles des membres inférieurs ? Pourquoi ?
Christian Cottet : Parce que, dans le cadre des pathologies neuromusculaires et de nombreuses pathologies neurodégénératives, la paralysie s'installe en premier lieu systématiquement dans les membres inférieurs puis, progressivement, plus lentement, s'attaque aux membres supérieurs. Dans la myopathie de Duchenne ou des ceintures, dans l'amyotrophie spinale, la première étape clé majeure d'aggravation, c'est la perte de la marche. Cette étape est très identifiée dans le temps : il y a un avant et un après. Pour les membres supérieurs, c'est plus insidieux, et la personne va souvent chercher à compenser par des mouvements du tronc ou de l'épaule, même si cela va se dégrader avec le temps.
H.fr : Une personne paralysée, on imagine donc que c'est une personne en fauteuil…
CC : Oui, c'est ce qu'il y a de plus visible et c'est très présent dans l'imaginaire collectif. Il est vrai que la recherche technologique et même associative s'est historiquement surtout focalisée sur ce domaine et cela va bien au-delà de la simple compensation de la perte de la marche. Il y a aujourd'hui des fauteuils qui assurent des fonctions de verticalisation, sont multi-positions ou intègrent un contrôle d'environnement embarqué. En France, la recherche technologique pour la compensation de la perte de fonction des membres supérieurs est moins avancée.
H.fr : Pourtant, n'est-on pas encore plus handicapé au quotidien lorsqu'on perd la motricité de ses mains ?
CC : Oui, bien sûr. Pour de nombreux malades, la perte de la fonction des membres supérieurs est beaucoup plus douloureuse que celle de la marche. On peut faire le deuil de ne plus marcher, même s'il y a évidemment des contraintes, mais lorsqu'on perd totalement l'usage des membres supérieurs, ce sont tous les gestes de la vie quotidienne qui s'en trouvent affectés. L'impact est beaucoup plus violent et, par ailleurs, moins anticipé que la perte de la marche.
H.fr : Malgré ce constat, la recherche technologique a peu avancé ? Pour cette raison, l'AFM-Téléthon a organisé, avec la filière de santé des maladies neuromusculaires FILNEMUS, le 14 novembre 2017, un colloque sur le thème : « Compensation de la perte de fonction du membre supérieur dans les maladies neuromusculaires ».
CC : Lors de ce colloque, une première en France, nous avons fait savoir que des outils existaient bel et bien, et ce dans trois catégories. Tout d'abord, les aides techniques purement mécaniques d'assistance ou de compensation lorsque le patient conserve un minimum de fonctions motrices, par exemple des supports de bras pour lutter contre la gravité ou le maintenir en position levée pour écrire ou tenir une fourchette. Il y a ensuite les outils électromécaniques qui permettent de lever le bras via une assistance motorisée. À l'autre extrémité de l'échelle, lorsque la perte de fonction est totale, il existe des bras robotisés manipulés par un joystick depuis le fauteuil. Une variété de dispositifs existe donc même si elle n'est pas toujours satisfaisante. Ces outils sont quelquefois utilisés mais globalement peu connus.
H.fr : Pour quelle raison ?
CC : Parce que le manque de connaissances fait qu'ils ne sont que rarement prescrits par les médecins et, pour la plupart, non remboursés par l'Assurance maladie. Les dispositifs les moins coûteux peuvent parfois être pris en charge par la PCH (prestation de compensation du handicap) ou en activant les fonds départementaux de compensation. Ainsi lorsque la famille a trouvé l'outil qui convient, c'est un parcours épuisant au niveau des circuits administratifs ou des aides extra légales et cela reste inéquitable sur le territoire car dépendant de chaque MDPH.
H.fr : Ils ne peuvent pas être pris en charge dans le cadre de la PCH aide technique ?
CC : Si, pour les produits pas trop chers. Mais il faut savoir que les coûts sont très importants. Cela va d'environ 2 000 euros pour un support d'avant-bras purement mécanique (comme une gouttière articulée sans motorisation), jusqu'à 9 000 à 15 000 euros pour un bras motorisé. Pour les solutions robotisées, il faut compter plusieurs dizaines de milliers d'euros. Un bras robotisé qui a été présenté, par exemple, qui comporte une main articulée, est commercialisé à entre 42 000 et 60 000 euros selon le modèle. Notre service Aides techniques a publié en ligne une vingtaine de fiches qui recensent les produits disponibles en France (en lien ci-dessous).
H.fr : Pourquoi de telles sommes ?
CC : Parce que, comme elles sont peu commercialisées, ces solutions sont produites à petite échelle. Il y a peut-être aussi un peu d'abus parfois dans la chaîne de fabrication/distribution et on ne connait pas les marges des opérateurs.
H.fr : Quand vous dites « méconnues », vous avez une idée de l'étendue du problème ?
CC : Nous avons mené une enquête auprès de 15 000 personnes atteintes d'une maladie neuromusculaire. Savez-vous combien utilisent un outil de compensation des membres sup ? 51 ! Et ils affirment que cela apporte une amélioration indéniable de leur qualité de vie. Il est donc temps de se mobiliser.
H.fr : Pourquoi un tel retard ?
CC : Parce que les industriels n'ont que rarement entrepris des démarches pour inscrire ces produits sur la LPPR (liste qui définit les dispositifs médicaux qui peuvent être remboursés par la Sécu). Nous avons donc décidé de mettre en place un plan d'action dans ce domaine. Le circuit d'évaluation des dispositifs innovants passe par la Haute autorité de la santé (HAS), comme pour un médicament. Cela se passe en deux temps : l'industriel doit d'abord faire la démonstration que son dispositif rend effectivement un service médical au patient et doit avoir fait des études cliniques pour le démontrer. Tout cela sous l'autorité de la HAS via le CNEDiMTS (Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé). Dans un second temps, c'est au Comité économique des produits de santé (CEPS) de négocier les remboursements avec les industriels.
H.fr : La démarche est engagée mais peut-on espérer une issue favorable rapidement ?
CC : Cela dépend ; quand l'industriel dispose déjà d'études réalisées dans d'autres pays que la France, elles peuvent être utilisées dans le dossier HAS. Si c'est le cas, ce sera plus rapide. Certains semblent engagés, et l'objet de notre colloque était de mettre carte sur table, en présence à la fois des industriels et des représentants de la HAS.
H.fr : Mais que dire aux patients qui sont vraiment confrontés à l'urgence et n'ont pas le luxe d'attendre ?
CC : Il faut en premier lieu promouvoir les aides techniques simples susceptibles d'être prises en charge. Par ailleurs, nous tentons de trouver un modèle économique plus souple. En effet, les patients qui ont une maladie évolutive vont avoir besoin de plusieurs outils au fil du temps. L'idée est donc de travailler sur un dispositif de location. Cela existe déjà dans certains domaines, comme pour les respirateurs.
H.fr : Pourquoi ce domaine est-il resté si longtemps en jachère ?
CC : À titre de comparaison, le premier fauteuil électrique est apparu dans les années 70 alors que la première aide à la fonction motrice des membres sup n'est sur le marché que depuis… 2000 ! Et certaines, comme les bras robotisés, sont encore plus récentes. Sur la vingtaine d'outils décrits dans les fiches dont je vous parlais, les trois-quarts n'existaient pas il y a trois ou quatre ans. On a vraiment commencé à travailler sur ce sujet à la fin des années 90 mais je ne connais pas d'industriel français qui s'en soit saisi. Aucun de ces outils n'est fabriqué en France. Le bras robotisé déjà cité, par exemple, est Canadien. En Belgique, aux Pays-Bas, il existe déjà un système de prise en charge. En France, en l'absence de prescription et de remboursement, les patients sont démunis et ne peuvent pas s'équiper. Ce champ n'est peut-être pas totalement vierge mais vraiment pas très avancé.
H.fr : Qu'attendre, dans ce contexte, du colloque du 14 novembre 2017 ?
CC : Il nous fallait conjuguer la dimension médicale, technologique et réglementaire. Notre cible était vaste : des médecins, des paramédicaux, des psychomotriciens, des kinés, des ergo qui ont aussi un rôle important à jouer, mais également des représentants des MDPH, des industriels… Nous souhaitions que toutes les parties prenantes soient présentes. L'objectif était de partager des infos et de faire prendre conscience du déficit d'action dans ce domaine. 200 personnes y assistaient.
H.fr : Quel est votre plan de bataille ?
CC : Permettre à chaque malade neuromusculaire et plus largement à toute personne atteinte d'une maladie évolutive invalidante confrontée à la perte des fonctions motrices des membres supérieurs de disposer d'une solution de compensation adaptée à ses besoins, et ce sans reste à charge. C'est très ambitieux mais c'est ce qu'il faut ! Transformer le cercle vicieux (outils peu connus donc peu prescrits donc sans prise en charge) en cercle vertueux. Que leur prescription devienne aussi systématique que celle d'un fauteuil électrique !
© Christophe Hargoues + Martine Mouchy / AFM-Téléthon