16 mars 2020. C'était il y a bientôt quatre ans. La France d'alors se confine. Tous en télétravail, et ce qui était l'exception devient la norme. Depuis, les masques sont tombés, les courbes d'infection du coronavirus aussi. Mais certaines habitudes sont restées… Le « homeworking » est aujourd'hui l'un des seuls stigmates de cette période confinée. Mais est-ce une aubaine ou une galère, notamment pour les travailleurs en situation de handicap ?
10 fois plus qu'en 2017
D'après la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), 4 070 accords d'entreprise portant sur le télétravail ont été signés en 2021, soit 10 fois plus qu'en 2017. Résultat, près d'un salarié sur cinq a télétravaillé au moins un jour par semaine en 2022. Difficile, donc, de faire machine arrière pour revenir au 100 % présentiel, le modèle hybride continue de s'imposer. En effet, les atouts du « TT », notamment pour le public handicapé, sont nombreux. « Il permet à ceux qui ont de grandes difficultés à se déplacer d'exercer une activité professionnelle », expliquait à l'AFP Bruno Pollez, médecin rééducateur et président de l'association Ladapt. Autre atout : la possibilité de mettre « davantage sur un pied d'égalité personnes en situation de handicap et les autres salariés », indique Didier Eyssartier, directeur de l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph).
Moins de fatigabilité
Vance Bergeron, tétraplégique à la suite d'un accident en 2015 et directeur de recherche au Laboratoire de physique de l'ENS de Lyon occupe un emploi qui, a priori, nécessite sa présence sur site. Mais, grâce à son robot de téléprésence, il est aux côtés de ses collègues et peut contrôler les appareils sur lesquels il fonde ses recherches, le tout à distance. Le télétravail, « c'est aussi une moins grande fatigabilité et la possibilité pour la personne de s'organiser par rapport à sa situation de santé, d'être devant son ordinateur allongé sur son canapé, de faire une sieste entre midi et deux », affirme de son côté Sophie Crabette, secrétaire générale de la FNATH, l'association des accidentés de la vie. « Et puis, soyons honnête, ça a aussi un avantage économique pour les employeurs. »
Seulement 65 % des actifs handicapés favorables au télétravail ?
En 2020-2021, 65 % des actifs en situation de handicap approuvaient globalement cet aménagement du travail à domicile (enquête Ifop-Agefiph) mais c'était beaucoup moins que la population générale (83 %). « On a aujourd'hui une ouverture d'esprit plus grande. Comme le télétravail s'est généralisé, il est moins stigmatisant pour les personnes handicapées qui en font la demande. Certaines entreprises qui étaient frileuses à l'idée de l'instaurer le sont moins », précise la secrétaire générale de la FNATH qui relève « moins de remontées de personnes handicapées s'étant vu refuser des jours de télétravail ». Sur les forums de discussion et les réseaux sociaux, les salariés avec une reconnaissance de travailleur handicapé (RQTH) à la recherche d'un poste « télétravaillable » sont de plus en plus nombreux, comme Jérémy, utilisateur de la plateforme X (ex-Twitter). Le Graal selon lui ? Un job « uniquement en télétravail et à mi-temps. J'ai besoin de me sentir utile en travaillant tout en prenant soin de ma santé », affirme-t-il.
L'essentiel : que cela reste une option
Par ailleurs, la loi a, depuis, facilité les conditions d'application du télétravail, notamment pour les personnes qui ont des soucis de santé ou un handicap. Depuis juillet 2023, l'article Article L1222-9 du Code du travail oblige l'employeur à expliquer les motifs de son refus au télétravail lorsque la demande est faite par un travailleur handicapé ou un salarié aidant d'un enfant, d'un parent ou d'un proche. « Les organismes dédiés à l'insertion professionnelle des personnes handicapées, tels que l'Agefiph ou le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (Fiphfp), se sont aussi mis en ordre de bataille pour financer les aménagements nécessaires au domicile des personnes », explique Sophie Crabette. « A l'inverse, il y en a pour qui ce modèle ne convient pas, poursuit-elle. L'essentiel, c'est que cela reste une option ».
Quels écueils ?
Alors secrétaire d'Etat au Handicap, Sophie Cluzel déclarait à l'automne 2020, veille du deuxième confinement : « Cette organisation durant le (premier, ndlr) confinement était 'subie', il faut maintenant œuvrer pour un télétravail 'choisi' » (Lire : Télétravail et handicap : aubaine ou risque d'isolement?). S'il peut constituer une aubaine, offrant plus de flexibilité et la possibilité de personnaliser l'environnement de travail, il peut aussi se transformer en galère en raison de l'isolement social, de l'absence d'adaptations au domicile ou des difficultés d'accès aux technologies numériques. L'inclusion des travailleurs en situation de handicap dans cette modalité nécessite donc une réflexion approfondie pour répondre aux besoins spécifiques de chacun. Les entreprises et les employeurs doivent s'engager à fournir des aménagements raisonnables et à garantir l'accessibilité des outils et des plateformes en ligne. « Il faut faire attention à ne pas isoler avec le numérique les personnes handicapées en faisant tout en 'télé' : télétravail, téléformation, télérecrutement », prévient Bruno Pollez (Lire interview complet : Handicap : numérique, une "opportunité" qui a ses limites). En bref, que l'inclusion ne soit pas un « écran de fumée » derrière l'écran.