Par Claudine Renaud
C'est un campus privé de la Côte d'Azur où le tennis s'apprend à prix d'or avec un entraîneur star, Patrick Mouratoglou, l'entraîneur de Serena Williams. Mais le temps d'un tournoi de tennis-fauteuil, son académie de Sophia Antipolis s'ouvre aux enfants des écoles pour "briser la glace" avec les personnes handicapées. Reçus à bras ouverts par les 56 pros engagés dans ce "French Riviera Open", pas loin de 1 000 élèves vont se relayer jusqu'au 28 septembre 2019 dans les tribunes et sur les courts pour se mesurer et voir qui sera le plus rapide en fauteuil, ou le plus habile avec la raquette.
Plus grande académie d'Europe
"Pour taper la balle, tu crois que t'as encore tes jambes pour marcher, mais en fait non, c'est pas évident", avoue Maxence, 8 ans et demi, qui ne joue "pas au tennis en vrai, mais sur la Switch", une console de jeux. Dans une ambiance de cour d'école, on crie, on piaille, puis tout le monde s'immobilise pour la photo souvenir avec l'ancien champion français et organisateur du tournoi Michaël Jérémiasz, en ami chez Mouratoglou, et le Britanniqe Gordon Reid, hilare: "On s'amuse bien", glisse le vainqueur en individuel des Jeux paralympiques de Rio 2016 et valeur à suivre à Tokyo en 2020. L'académie montée par l'entraîneur français n'a pas besoin de cette publicité. La plus grande d'Europe, elle affiche complet avec 200 étudiants malgré un tarif de scolarité à l'américaine. Mais Patrick Mouratoglou y croit : "Quand la glace est brisée entre les gens en fauteuil et les enfants, c'est pour la vie". En plus, dit-il, il y a "cette convivialité" du tennis-fauteuil qui "n'existe pas dans l'ATP" : "C'est plus humain dans les rapports".
Jeremiasz, champion d'humour noir
Aïssata, 6 ans, élève à Valbonne, apprécie aussi: "J'aimerais bien en faire mais je suis pas handicapée". La remarque est une victoire pour Michaël Jérémiasz, retraité survolté du fauteuil, tout fier "quand les enfants disent 'ah la chance, comme il est beau ton fauteuil' et oublient complètement qu'on est handicapé". Ancien skieur reconverti dans le handisport après un accident à 18 ans, il est aussi champion d'humour noir: "Je lui dis, 'prends ta voiture un peu bourrée et tu seras paraplégique comme les autres, faut savoir ce qu'on veut, tout le monde ne peut pas avoir la chance d'être handicapé, ça ne tombe pas du ciel!' Il faut se donner les moyens, moi y avait un tremplin, j'ai dit 'j'y vais'!!".
Banaliser la différence
"L'an dernier, on avait 600 collégiens et écoliers de la région, cette année près de 900, ils adorent et nous aussi. Ça permet de transmettre, de sensibiliser dès le plus jeune âge à la question du handicap, de banaliser la différence. Ils posent des questions sans filtre que les adultes n'osent pas poser, sur tout ce qui a trait à l'intimité, l'accident, la vie quotidienne, comment je mets mes chaussures, comment je me lave, etc", ajoute-t-il. En 2000, Jérémiasz avait poussé les portes de l'académie Mouratoglou pour y trouver un préparateur physique qui l'a conduit jusqu'à l'or paralympique en double avec Stéphane Houdet aux Jeux de Pékin 2008. Aujourd'hui, il parie sur son tournoi, rêve d'en faire le 3e plus important en France tout tennis confondu et se flatte d'avoir casé deux retransmissions en direct sur Canal+ Sport, la finale messieurs en double et en individuel. Alors à quand des enfants valides en tennis fauteuil ? "Peut-être dans 10 ans. C'est un grand débat tabou. Très peu sont pour, ça divise, tous n'en sont pas au même stade de leur résilience (...) Au basket, ça existe et pour moi, pour l'inclusion et le développement du sport, c'est une question à se poser", répond le n°4 français et 27e mondial, Gaëtan Menguy, 36 ans.