C'est promis, les ministres européens en charge du handicap se donneront rendez-vous à Paris fin janvier début février 2019, à l'invitation de Sophie Cluzel. La secrétaire d'Etat aux personnes handicapées l'a annoncé le 22 novembre 2018 à l'occasion d'une conférence-débat organisée par le Fiphfp (Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans le public) et l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) sur le thème : « L'emploi des personnes en situation de handicap en Europe, qui fait quoi et comment ? ». En matière d'emploi et handicap, la grande diversité de politiques, de pratiques et de dispositifs dessine un paysage particulièrement hybride qui multiplie les critères et propose une vaste palette d'interventions. Pour autant, les résultats sont-ils probants ? Dans ce contexte où, chez nos voisins, il y a certainement du bon à prendre et du moins bon à écarter, le conseil scientifique du Fiphfp a souhaité passer en revue les politiques européennes dans ce domaine. Cette synthèse a donné lieu à un livre éponyme, publié en octobre 2018 (article en lien ci-dessous).
Deux modèles majeurs
Deux grands modèles sont identifiés. Il y a d'abord celui qui impose des quotas -57 % des pays de l'Union européenne (UE) appliquent cette législation qualifiée de « contraignante »- et s'appuie sur le secteur protégé, défendu notamment par la France mais aussi l'Allemagne, l'Espagne et la Pologne. Il est étonnant d'observer que certains pays tendent à développer le principe du travail protégé alors que d'autres l'ont totalement abandonné, comme l'Angleterre depuis 2011. Le recours à ce secteur est, aussi, de moins en moins important dans les pays qui ont de faibles moyens financiers et dans ceux qui tentent de réduire leurs dépenses sociales (Espagne, Portugal, Italie, Irlande). Deuxième modèle : celui de droit commun qui veut que les personnes handicapées soient incluses dans le milieu ordinaire. « Dans ces pays, ce qui est visé, c'est l'accessibilité totale, à tous, et le principe de quotas et d'établissements protégés est considéré comme discriminatoire », explique Pierre Blanc, membre du comité scientifique du Fiphfp. C'est le modèle adopté par la plupart des pays anglo-saxons, notamment la Suède, la Norvège et le Danemark ; il représente, seulement, 11 % des pays de l'UE.
Des formes hybrides
Les 32 % restants adoptent des modèles « composites », entre ces deux grandes bornes, qui n'imposent pas de quotas mais mettent en œuvre des mesures incitatives. « La tendance de l'évolution des législations s'oriente vers une adoption mixte des deux principaux systèmes mais adaptés à la culture et aux enjeux de chacun », poursuit Pierre Blanc. Il ajoute : « Globalement, les mesures incitatives se généralisent : subventions salariales, compensations de la perte de productivité, aides au tutorat ou à l'apprentissage, financement de la formation, adaptations des postes de travail… ». Les plus performants en matière de non-discrimination se situent, globalement, dans la catégorie des pays qui pratiquent les quotas. L'analyse sur l'écart entre le taux de chômage des personnes handicapées et celui des « valides » donne les résultats suivants : 20 points en France, 35 au Royaume-Uni et 40 en Irlande. Les personnes « sévèrement handicapées » ont donc plus de chance d'accéder à l'emploi en France qu'en Angleterre ou en Irlande.
La même galère
Lors de cette conférence, plusieurs ressortissants étrangers sont venus apporter leur témoignage, parvenant tous à la même conclusion : quels que soient les dispositifs mis en œuvre, les personnes handicapées restent discriminées face à l'emploi, vivent dans des situations financières précaires, sont généralement sous-diplômées et souvent dépendantes de leur famille et des aides sociales. En Allemagne, par exemple, le taux de chômage des personnes handicapées est deux fois supérieur à celui des « valides » (14 %), tout comme en France, où il atteint 19 %. En Suède, un pays souvent présenté comme pionnier, Johanna Gustafsson, de l'Institut suédois de recherche sur le handicap, déplore « une situation qui n'a pas évolué depuis 10 ans ».
Emploi accompagné : la solution ?
Un concept s'invite néanmoins dans toutes les bouches, celui d'emploi accompagné. Il existe depuis 25 ans aux Etats-Unis, une vingtaine d'années en Europe mais n'a été expérimenté qu'il y a 10 ans en France et n'y est reconnu officiellement que depuis 2016. On observe, partout, une montée en puissance de ce dispositif qui propose, au sein des entreprises ordinaires, un accompagnement, via un « job coach », à la fois du travailleur handicapé et des équipes de travail. Encore très confidentiel dans l'Hexagone puisqu'il ne concerne que mille personnes en 2018, il a fait ses preuves ailleurs, impliquant des acteurs en dehors de la sphère médico-sociale, à l'instar des Pays-Bas où certains « job coachs » sont issus du milieu du travail privé ou en Suède où toutes les municipalités disposent d'une division « emploi accompagné ».
A ce titre, Sophie Cluzel assure envisager « une vraie formation des 'job coachs', dédiée au monde de l'entreprise. » Lors de la future réunion promise début 2019, elle entend, avec ses confrères européens, explorer ces nombreux sujets tout en se focalisant sur deux priorités : la généralisation du Duoday (des binômes handi/valides se forment en milieu professionnel le temps d'une journée, article en lien ci-dessous) qui, selon elle, « n'est pas seulement une vitrine mais a porté concrètement ses fruits » et l'accélération de la coopération européenne sur les causes de l'autisme.