Handicap.fr : Tout d'abord, quels sont les objectifs d'H'Up, association que vous présidez ?
Didier Roche : Le premier est de positionner le handicap non plus sur l'impression de bien faire en employant des personnes handicapées mais vraiment avec l'idée que celui qui signe ton chèque à la fin du mois, eh bien, il peut être handicapé. La deuxième voie, c'est de dire aux chefs d'entreprises : "Si ça t'arrive demain, appelle-nous et on évitera que tu plantes ta boite". Pour vous donner une idée, en 2016, 7 700 entrepreneurs ont eu une reconnaissance d'invalidité. Ils ont été déclarés inaptes à leur fonction alors qu'avec un bon suivi on aurait pu éviter pour beaucoup d'entre eux cette reconnaissance. Et on estime à peu près à 5 000 par an le nombre de dépôts de bilan liés à une maladie ou un handicap. Donc, l'idée, c'est de parler à ces gens-là et de leur dire qu'ils ne sont plus seuls. Ils viennent souvent nous voir lorsque tout est fini, c'est tout de même dommage...
H.fr : Votre mission est donc de les aider à assurer la pérennité de l'entreprise existante ?
DR : Oui, en effet. Réaliser le maintien de la personne dans ses fonctions au moment où le handicap survient. Il existe des dispositifs en faveur du maintien dans l'emploi des salariés mais rien pour les chefs d'entreprise.
H.fr : Ce ne sont pas forcément des entreprises unipersonnelles et, derrière, il y a des emplois à sauver ?
DR : Évidemment. Récemment j'ai eu le cas d'un dirigeant qui avait 5 salariés. Un autre en avait 28.
H.fr : Mais pourquoi trouvent-ils chez vous de l'aide et pas ailleurs ?
DR : Parce que les structures en place et tous les acteurs du marché, notamment dans l'environnement de santé (RSI, Urssaf, MSA, hôpitaux, caisses d'assurance maladie, mutuelles, chambres de commerce...), ne connaissent pas forcément les mécaniques d'accompagnement liées au handicap, et aux entrepreneurs handicapés en particulier. Il en existe pourtant, qu'elles soient d'ordre financier ou en matière de compensation du handicap, avec la possibilité d'aides humaines et techniques.
H.fr : Pour valoriser le talent de ces entrepreneurs, H'Up lance ses premiers Trophées…
DR : Oui, ils visent à récompenser des histoires exemplaires (article complet en lien ci-dessous). L'appel à candidature est ouvert jusqu'au 31 août 2018. La remise des Prix aura lieu le 30 octobre.
H.fr : Dans le cadre des projets de loi en cours sur l'emploi, y-a-t-il des mesures qui concernent les chefs d'entreprise en situation de handicap ?
DR : Non, aucune mesure spécifique.
H.fr : Il en fallait ?
DR : Les problématiques sont plutôt d'ordre assurantiel. En cas d'emprunt, les assurances refusent en général de les assurer, en tout cas pour le risque santé car elles estiment qu'il est trop grand. Ils sont nombreux à ne pas pouvoir accéder au crédit ou à une couverture santé digne de ce nom.
H.fr : Il existe pourtant une charte qui a été signée par les assureurs, la convention Aeras, dédiée aux emprunteurs qui rencontrent des problèmes de santé...
DR : C'est une charte et il n'y a donc aucune obligation. Et ils s'arrangent toujours pour la contourner, avec des délais de réponses rédhibitoires et des montants limités. Souvent, il est impossible de valider l'emprunt car l'assurance couvre tellement peu qu'aucune banque ne veut courir le risque. À part le décès, il y a très peu de garanties...
H.fr : Quelle solution ?
DR : Nous réfléchissons à la mise en place de toute forme de système qui pourrait venir pallier le défaut d'assurance en cas de handicap dans le champ de l'emprunt. H'Up travaille, par exemple, sur des projets de financement dans le cadre des Fintech, une nouvelle industrie qui déploie la technologie pour améliorer les activités financières. Nous cherchons le soutien des fonds de garantie pour que l'emprunt puisse être couvert. Dans ce circuit, exit les banques !
H.fr : Dans le cadre des lois en discussion, des mesures sont également en cours afin de privilégier l'emploi direct des personnes handicapées. En matière de sous-traitance, les contrats passés avec le secteur protégé et adapté ne devraient plus être comptabilisés dans ce qu'on appelle les UB (unités bénéficiaires) qui permettent de calculer le taux d'emploi d'une entreprise soumise à l'obligation. Un impact également pour les indépendants ?
DR : Oui, c'est la même sanction, même s'il y aura tout de même une exonération de la contribution calculée à partir du montant du chiffre d'affaires réalisé en sous-traitance. Que l'on souhaite valoriser l'emploi direct de salariés handicapés dans le milieu ordinaire, je peux comprendre, même si je n'y crois pas complètement, mais quand tu es un citoyen français, tu as le droit de choisir entre le salariat et l'entreprenariat. Avec cette nouvelle loi en cours, si tu es salarié, il y a un avantage pour l'entreprise, mais si tu es entrepreneur, aucun intérêt pour elle de dealer avec toi. Il y a donc, de mon point de vue, une rupture d'égalité de droit.
H.fr : Ce projet de réforme est entériné ?
DR : Oui, c'est clairement en cours. On attend les annexes de comptabilisation. On sait que les entreprises pourront désormais prendre en compte les stagiaires, les intérimaires... Tous les statuts du travailleur handicapé sauf les indépendants ! Pourtant, l'intérim, c'est aussi une forme de sous-traitance.
H.fr : H'Up ne tente pas une action de lobbying ?
DR : Les actions sont portées essentiellement par les associations de personnes handicapées et les syndicats des salariés qui, en passant, défendent les salariés et pas les chômeurs ; conjointement, ils pointent du doigt les entreprises qui ne veulent pas recruter. Le postulat, c'est donc de dire : "On vous enlève la sous-traitance comme ça vous allez devoir embaucher". Mais c'est purement dogmatique. En réalité, que va faire le chef d'entreprise qui, de toute façon, peine à recruter parce que le système actuel n'offre pas une formation suffisante aux personnes handicapées ? Il risque, à terme, de laisser sa politique handicap à l'abandon, quitte à choisir de payer une forte contribution.
H.fr : Votre bilan n'est pas très rose...
DR : C'est un fait. La sous-traitance n'étant plus valorisée en UB, la seule option, dans ce cas, c'est de faire de la reconnaissance travailleur handicapé en interne. C'est pour cette raison que les chiffres de RQTH ne cessent de grimper, tout comme le taux de chômage des personnes handicapées. Cette mesure ne règle aucun problème, à part revoir le taux de 6% tous les 5 ans. Pourquoi pas ? Mais, si on regarde les derniers chiffres, il faut à peu près 100 000 emplois pour atteindre ces 6%. Or 500 000 travailleurs handicapés sont au chômage. On fait quoi des 400 000 restants ? Aujourd'hui, il faut travailler sur les flux entrants et sortants ; la reconnaissance en interne on s'en fout mais, concrètement, combien en as-tu recruté et combien en as-tu viré ?
Le gouvernement amène les gens sur des sujets techniques sans poser la problématique de fond réelle. Il a noyé tout le champ associatif dans la technicité, sachant que les associations mangent toutes au râtelier et défendent toutes des positions différentes. Dans cette jolie cacophonie, le gouvernement a fait ce qu'il voulait. Ce n'est certainement pas avec ce genre de méthode que l'on va créer de l'emploi. La seule façon pour le gouvernement de se sortir de cette problématique, c'est d'une part la formation et de l'autre que la reprise économique annoncée permette, petit bout par petit bout, de diminuer le nombre de chômeurs handicapés.