Par Layal Abou Rahal
Dans un jardin public de Damas, la capitale syrienne, Abdel Rahmane présente tout sourire verres d'eau et thé aux clients venus se désaltérer. Comme lui, tous les serveurs du café "Sucet" sont trisomiques, dans un pays où la guerre a contribué à marginaliser les handicapés mentaux. "Évidemment je suis très heureux", confie le jeune homme de 21 ans, casquette sur la tête et tablier gris sur sa chemise d'un blanc immaculé. S'exprimant avec des phrases entrecoupées, il égrène les boissons proposées : "du café, du thé et du jus". Sans jamais se départir de son sourire, plaisantant avec les consommateurs, Abdel Rahmane va et vient entre les tables couvertes de nappes blanches et décorées de bouquets au milieu des arbres du jardin Tichrine, le plus grand parc de Damas qui s'étend sur 30 hectares.
Une initiative pérenne
Comme lui, 16 garçons et filles, tous atteint du syndrome de Down (autre nom de la trisomie 21), se succèdent matin et soir pour assurer le service. "C'est la première fois de ma vie que je travaille et que je touche un salaire", s'enthousiasme Hazem Zahra, derrière le comptoir. "Je ne veux pas que le café ferme", plaide le jeune homme de 26 ans à la silhouette corpulente. Lancée à la faveur du Festival "Damas nous rassemble", organisé par le ministère du Tourisme et du Commerce jusqu'au 26 juillet, l'initiative devait être temporaire. Mais le gouvernorat de Damas s'est engagé à maintenir l'établissement, géré par l'ONG Jouzour, qui apporte aides et soutien psychologique aux personnes porteuses du syndrome de Down. "C'est le premier café du genre en Syrie", s'enorgueillit la directrice de Jouzour, Khouloud Rajab. "Notre objectif est de former ces jeunes et leur permettre d'exploiter leur potentiel, tout en contribuant à leur intégration sociale", poursuit-elle.
Une inclusion très limitée
Dans une Syrie ravagée par la guerre depuis 2011, où toute l'attention se focalise sur les victimes du conflit, les personnes trisomiques représentent "une des catégories les plus vulnérables, mais aussi les plus marginalisées", déplore Mme Rajab. "C'est une initiative très importante pour ces jeunes", affirme Ahmed Qatrib, acteur venu se promener à Tichrine. "Ils nous donnent une leçon de ténacité, on doit comprendre qu'ils peuvent être actifs au sein de la société", poursuit le quadragénaire à la barbe grisonnante et aux cheveux noirs gominés. En Syrie comme dans d'autres pays arabes, les familles se heurtent souvent à la stigmatisation et l'ostracisation des handicapés mentaux, alors que les soins psychologiques dont peuvent bénéficier les patients et les initiatives facilitant leur intégration restent très limités.
Éduquer la société
"Le plus difficile, c'est de pousser la société à les accepter", confirme la jeune Chéhrazade Qounnou, employée dans une ONG impliquée dans le soutien à ces personnes. Ghassan Bouri ne cache pas sa fierté en regardant son fils Abdel Rahmane travailler. Cela fait huit ans qu'il l'encourage à participer à diverses activités, telle que la musique ou le dessin, en plus de sports divers. Il estime que son fils a en outre un plus grand niveau de conscience sur certains sujets que les autres. "Parfois quand on est dans la rue, un passant jette une bouteille parterre, mon fils court pour lui demander de la mettre à la poubelle", confie cet homme de 66 ans à la chevelure argentée. "C'est dommage que les enfants atteints du syndrome de Down restent à la maison. Mais on doit éduquer la société".
Rappelons qu'en France certaines initiatives de ce type ont vu le jour, assez récemment : le restaurant Le Reflet à Nantes ou encore le Café Joyeux à Rennes puis Paris (articles en lien ci-dessous).
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