Trouble neurodéveloppemental: le chlordécone dans le viseur

Enlevé du marché il y a 30 ans pour ses effets cancérogènes, le chlordécone continue de contaminer la population antillaise. Des chercheurs viennent de découvrir ses effets négatifs sur le neurodéveloppement des fœtus et des jeunes enfants.

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Les effets délétères du chlordécone ne sont plus à démontrer. Utilisé dans les Antilles de 1973 à 1993 pour lutter contre le charançon, un insecte ravageur des cultures de bananiers, cet insecticide est au cœur d'un scandale d'Etat depuis plusieurs années. Treize ans après la publication d'un premier rapport sur le sujet, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) rend une nouvelle copie au Sénat le 4 mars 2023. Au même moment, une équipe de scientifiques issus de l'Inserm, de l'Université de Rennes et de l'École des hautes études en santé publique vient de faire une nouvelle découverte inquiétante. Jusqu'à maintenant, l'insecticide organochloré était considéré comme perturbateur endocrinien, neurotoxique, toxique pour la reproduction et le développement, mais aussi cancérogène. Or, aujourd'hui, les chercheurs ont constaté que le produit incriminé pourrait également impacter le développement cognitif et comportemental des enfants exposés en pré et postnatal. Et, ce, malgré les trente années qui se sont écoulées depuis l'arrêt de son utilisation aux Antilles. La contamination des populations émanerait en réalité de la présence persistante de l'insecticide dans l'environnement et les aliments, eux-mêmes contaminés.

Une molécule qui agit sur les œstrogènes

D'après les chercheurs, « la neurotoxicité [du chlordécone] s'explique par la capacité de la molécule à interagir avec de nombreux neurotransmetteurs et par ses propriétés hormonales, notamment son action sur les œstrogènes ». Ces derniers jouent justement un rôle crucial dans le développement du cerveau. L'étude, publiée le 27 février 2023 dans la revue Environmental Health, s'est concentrée sur une cohorte de 576 enfants originaires de Guadeloupe. Ils ont ainsi passé une batterie de tests, à commencer par une analyse du taux de pesticide dans le sang dès la naissance et à l'âge de 7 ans. Leurs capacités intellectuelles ont ensuite été évaluées sur la base de quatre critères : compréhension verbale, vitesse de traitement de l'information, mémoire de travail et raisonnement perceptif. Les mères ont également participé à l'enquête et rempli un questionnaire visant à mesurer d'éventuelles difficultés comportementales de leur enfant (symptômes émotionnels, problèmes relationnels, de comportement social, d'hyperactivité, d'inattention…).

Des capacités intellectuelles amoindries

Les résultats sont assez explicites. Les enfants exposés après leur naissance au chlordécone présentent de moins bons scores en matière de capacités intellectuelles, avec une réduction de 0,64 points de QI. Cela se traduit, notamment chez les garçons, au niveau du raisonnement perceptif, de la mémoire de travail et de la compréhension verbale. Par ailleurs, l'exposition prénatale au pesticide induit une augmentation de 3 % du score estimant les difficultés comportementales internalisées, c'est-à-dire les symptômes émotionnels et troubles relationnels, avec une prévalence, cette fois, chez les filles. « Ces résultats indiquent que l'exposition au chlordécone pendant les périodes de développement in utero ou au cours de l'enfance est associée à une diminution des capacités intellectuelles et à une augmentation des difficultés comportementales, avec des effets parfois différents en nature et en intensité selon le sexe », résument les chercheurs. Ces derniers demandent par conséquent aux autorités de « poursuivre les politiques publiques destinées à réduire l'exposition au chlordécone, notamment parmi les populations les plus sensibles, telles que les femmes enceintes et les enfants, et à surveiller la prévalence et la prise en charge des enfants présentant un retard psychomoteur, des troubles sensoriels, neuromoteurs ou intellectuels et/ou des difficultés relationnelles ».

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Clotilde Costil, journaliste Handicap.fr"
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