"Déjà à ta propre nana, tu as tendance à ne pas lui dire, à cacher la prise de médicaments. Alors, avec l'employeur...": Jean, 39 ans, bipolaire, résume la difficulté pour les personnes souffrant de troubles psychiques à trouver leur place au travail. Selon une étude de l'OCDE, une personne sur deux souffrira de problèmes de santé mentale à un moment de sa vie.
Tous concernés à un moment donné
Les troubles légers à modérés (dépression, anxiété...) sont très fréquents avec "à tout moment 15% de la population active concernée", tandis qu'environ 5% de la population souffre de troubles graves comme la schizophrénie ou la bipolarité (aussi appelé trouble maniaco-dépressif). Les personnes les plus gravement atteintes ont six à sept fois plus de risque d'être au chômage que les autres. La maladie s'associe de fait souvent à des trous dans le CV et parfois des traitements aux effets secondaires importants.
Une parade des fous à Paris
Mi-juin 2014, environ 500 personnes défilaient à Paris dans le cadre de la première "Mad pride" pour le respect et la dignité de ces personnes (lire article en lien ci-dessous). Claude Deutsch, président du comité d'organisation et membre d'"Advocacy", association d'usagers des services de santé mentale, souligne auprès de l'AFP que le regard de la société est "essentiel". "La prise de capacité est liée au regard qu'on porte sur vous (...) encore plus dans le monde du travail, qui est plus compétitif et sélectif", dit-il. Le handicap psychique, bien que reconnu, reste "invisible", dit-il, citant le cas d'une amie "bardée de diplômes" qui, sollicitant les structures d'aides à l'emploi pour handicapés (Cap emploi), s'est vu répondre qu'"on ne pouvait pas s'occuper d'elle parce qu'elle avait trop d'habilité".
Cataloguée « dingue de service »
Sur les forums de discussion, comme Carenity (consacré aux maladies chroniques), certains bipolaires se demandent s'il faut en parler au travail. "Je me suis mordu les doigts de l'avoir fait. J'ai été cataloguée dingue de service", dit une internaute, résumant un sentiment partagé. D'autres conseillent de prendre des congés pendant les crises, de multiplier les employeurs pour brouiller les pistes ou de créer sa propre entreprise. Jean (le prénom a été changé) souligne qu'il y a "deux circuits": s'identifier comme « handicapé » ou se cacher, estimant que "les gens ont plutôt
tendance" à choisir la seconde solution, quitte à faire leur coming-out plus tard.
Seulement des petits boulots
Après un bac scientifique à 17 ans, il a fait des études de biologie, puis réussi le concours d'infirmier. Mais, depuis, malgré des "petits boulots" (vendeur, vendanges, cordiste), il n'a jamais vraiment eu d'emploi. "La situation de l'emploi n'est pas bonne. Celle des travailleurs handicapés l'est encore moins", dit-il à l'AFP, rappelant que de "toutes façons, le plus important, c'est de se soigner".
Le travail comme déclencheur de maladie
M. Deutsch souligne aussi que le travail peut "ne pas être l'objectif principal" des malades, parce qu'"aller bien, avoir une vie dans la cité, c'est déjà pas mal". De fait, si l'entreprise peut aider, elle peut aussi déclencher la maladie. Paul Cossé, président de l'association "Schizo ? Oui ! Faire face à la schizophrénie", est le père de deux schizophrènes: un homme de 46 ans et une fille de 39 ans. Son fils a travaillé six mois à mi-temps chez EDF, où M. Cossé était médecin du travail, mais, dit-il, "ils ne l'ont pas gardé, ils ont eu peur alors qu'on me disait qu'il travaillait très bien". "Il y a des schizophrènes qui travaillent mais pas beaucoup, parce qu'ils s'arrêtent longtemps, ils ont des traitements, et la plupart n'ont pas fait d'études", dit-il.
Faire de sa faiblesse une richesse
Matthieu de Vilmorin, 54 ans, qui souffre de bouffées délirantes estime avoir eu "beaucoup de chance". Il a eu une vie professionnelle riche (chauffeur, coursier, libraire, formateur...) et écrit un livre ("Fous et folles"). "Je sais que j'ai une faiblesse. Mais j'ai fait de cette faiblesse une richesse", dit-il à l'AFP. Pour M. Cossé, "beaucoup de malades pourraient travailler et le vrai problème, c'est l'insertion", car "très peu de choses sont faites", comme des aménagements d'horaire. Ce qui bloque? "La peur des employeurs, de ne pas pouvoir licencier, d'avoir les syndicats sur le dos". "De toutes façons, dans tous les milieux du travail, il y a des personnes handicapées psychiatriques, on en embauche obligatoirement, puisqu'il est impossible" de les diagnostiquer d'emblée, rappelle-t-il.