« Cinquante kilos tout mouillé, athlète de la vie. » C'est ainsi que se définit Victor Rodrigues. Cette vie, il la raconte dans un ouvrage autobiographique paru en 2023 (éditions Un point c'est tout), accompagné par son ami journaliste François Carbonel. Le titre est insolent, à son image : Manquerait plus que je fasse la gueule !. Victor déteste les étiquettes et pourtant il en est une qui lui colle à la peau : IMC, comme Infirme moteur cérébral. On le repère assez facilement à son fauteuil roulant, à ses gestes spastiques mais surtout au large sourire qui lui dévore le visage en toutes circonstances.
Un récit épique
En 250 pages, ce récit épique, à la Don Quichotte, un peu fou et débridé, dévoile les petits et grands moments de son parcours mouvementé, de sa naissance dans une famille pauvre du Portugal chamboulée par un cordon ombilical autour du cou, à l'exode de son pays natal, ses premières années sans fauteuil où il doit se déplacer sur les bras et les genoux, jusqu'à cet attentat à l'aéroport d'Orly auquel il réchappe en 1983. Sa vie est un roman d'aventures, teinté d'optimisme, en dépit de moments parfois tragiques. Il se livre sans détour ; la discrimination, les moqueries, la pitié (« Pauvre gosse, si Dieu pouvait l'emporter, ce serait une chance pour lui et ses parents »), la difficulté d'accès à l'emploi…
Le sacro-saint milieu médical
Surtout rester vrai, ne rien occulter, pas même la sexualité débridée et non contrôlée dans les internats des seventies. Il dénonce le « sacrosaint milieu médical qui lui avait prédit le pire » ; ne devait-il pas mourir à sept ans selon les médecins ? « Libéré de ce monde médicalisé qui lui donne la nausée », il emménage à 35 ans dans un appart en solo, même s'il y « découvre la solitude qui fut un nouvel exercice ». Il se définit comme une « exception dans un océan de normalité ». Puis il passe son permis.
Un guerrier cabossé
A 60 ans, Victor est un guerrier cabossé qui ne s'effondre jamais devant l'obstacle. Sa plus délicieuse fantaisie ? Faire des pieds de nez à la vie. Alors qu'à neuf ans il ne sait toujours pas lire, il est le premier élève en France à passer son Bac avec un ordi Apple, puis obtient un DESS. Passionné de littérature, il est aujourd'hui bibliothécaire au sein d'une médiathèque.
Avec son pote Croizon
Toute sa vie, il est allé vers les autres parce qu'il a conscience « qu'ils ne viendraient pas vers (lui) ». Ce livre, qu'il souhaite partager avec le plus grand nombre, est une nouvelle offrande. Philippe Croizon, un autre trublion, a signé la préface. A eux deux, ces porte-étendards du « handicap positif », font la paire. Ce livre est un sommet de résilience, qui se lit à chaque page avec la banane. Du rire, des gags, de l'amitié, de l'humour noir, de la déconnade et une fantastique énergie. Pour aller plus loin, Victor répond aux questions de Handicap.fr.
Interview
H.fr : Pourquoi cette envie de témoigner ?
Victor Rodrigues : Je voulais montrer que, même avec un lourd handicap, on peut vivre heureux, s'insérer dans la société, travailler, avoir des amis, sortir et mener une vie presque normale. Montrer également que, derrière ma joie de vivre réelle, mon humour et ma jovialité, je rencontre aussi les mêmes problèmes, les mêmes souffrances et les mêmes joies que tout le monde, même si elles sont parfois accentuées par le handicap.
H.fr : Difficile de se mettre à nu sur des questions parfois très intimes ?
VR : Oui, c'est douloureux et déstabilisant. Lorsque j'ai envisagé d'écrire ce livre, j'ai pris le parti de me livrer sans filtre, en restant entier, sans aucun tabou. Il m'a donc fallu dévoiler une partie de moi que j'avais toujours tenu à préserver. Mais cela me semblait nécessaire pour appréhender la vie d'une personne en situation de handicap dans sa globalité.
H.fr : Les autres sont aussi très présents…
VR : J'ai essayé de ne pas sombrer dans un certain nombrilisme ou dans le misérabilisme, c'est pourquoi j'ai parsemé mon récit de différents portraits de personnes qui ont croisé mon chemin, m'ont marqué et m'ont permis de relativiser.
H.fr : L'édition, c'est un parcours du combattant ?
VR : Je pensais naïvement que le plus difficile était d'écrire, qu'un tapuscrit bien ficelé et bien travaillé trouverait son public et intéresserait sûrement une maison d'édition. Mais toutes les portes de grandes maisons d'édition se sont refermées, une à une. Beaucoup me répondaient que mon travail était de qualité mais ne rencontrerait pas un assez grand nombre de lecteurs… J'en profite pour rendre hommage à mon éditeur, Alain Guillo, qui m'a permis de mener à bien ce projet.
H.fr : Quels sont les retours de vos lecteurs ?
VR : Très positifs. Ils ont adoré ce mélange captivant d'épisodes de vie intime, de passages poignants, ma rage de vivre communicative. Résilience, énergie, humour, combat pour la justice et l'égalité, hypersensibilité, embûches aussi… Ce sont des mots qui reviennent souvent.
Manquerait plus que je fasse la gueule !, Victor Rodrigues, éditions Un Point c'est Tout !, 250 pages, février 2023, 20 euros.