Eric Zemmour préférerait « accueillir » les enfants handicapés dans des « établissements spécialisés sauf pour les gens légèrement handicapés évidemment », plutôt que dans les classes avec les autres enfants. « Pour le reste, oui, je pense que l'obsession de l'inclusion est une mauvaise manière faite aux autres enfants et à ces enfants-là, qui sont, les pauvres, complétement dépassés par les autres enfants. Donc je pense qu'il faut des enseignants spécialisés qui s'en occupent », estime-t-il. A l'occasion d'un déplacement consacré aux questions éducatives dans les Hauts-de-France, le 14 janvier 2022, le candidat d'extrême droite à l'élection présidentielle a échangé avec une dizaine d'enseignants acquis à sa cause.
"Ségrégation à tous les étages"
Le chef de file des députés LR Damien Abad, lui-même en situation de handicap, a fustigé sur Twitter de « scandaleux propos sur la scolarisation des enfants handicapés », qu'Eric Zemmour « veut exclure de l'école en milieu ordinaire. Cette ségrégation à tous les étages est une honte absolue. Oui, nous devons avoir l'obsession de l'inclusion. » Il a réclamé des « excuses publiques ». Sophie Cluzel, secrétaire d'Etat au Handicap, a, elle aussi, réagi, dénonçant une « déclaration pitoyable ». « En voulant sortir les enfants handicapés de l'école de la République, il illustre une fois de plus son rejet des différences. Les personnes en situation de handicap ont toute leur place dans la société », a-t-elle twitté. Sur BFMTV, elle a déclaré : « Bien sûr que c'est compliqué, mais c'est vraiment l'honneur de la France de pouvoir scolariser ces enfants avec les autres, au milieu des autres ».
Sur les réseaux sociaux, même si certains témoignent que l'inclusion en école ordinaire ne réussit pas à tous les coups, déplorent le manque de formation des enseignants et de moyens ou pensent que certains enfants en situation de handicap « n'ont pas leur place dans l'école de la République pour plein de raisons » et s'y sentent parfois rejetés, la plupart adresse néanmoins un carton rouge au candidat : « honte », « ignorance », « un hibernatus du pire qui veut parquer les différents »... « Sans préjuger sur le fond, je pense qu'électoralement, cette proposition est une énorme bourde, de nature à perdre une élection », a ajouté un autre.
Position assouplie ?
Face à cette levée de boucliers, Eric Zemmour a tenté d'édulcorer sa position dans plusieurs Tweets samedi matin : « Je veux des solutions adaptées, personnalisées et souples : nous devons agir avec réalisme et générosité. » « Bien sûr, il y a des cas où le fait de les mettre dans un établissement ordinaire est une bonne chose car ça leur permet de progresser, de se socialiser. Et puis il y a d'autres cas, réels, plus nombreux qu'on ne le dit, où c'est une souffrance pour ces enfants ». « Je pense que c'est une position idéologique, comme toujours. On a décidé que c'était mieux de mettre tout le monde ensemble. Moi, je pense que non », « pas pour les mettre à l'écart mais pour s'en occuper mieux ». Il se dit « très attaché à ce qu'il y ait des passerelles entre scolarisation en établissement spécialisé et ordinaire, parce que c'est à chaque étape de la vie que nous nous devons d'être présents pour accompagner les plus fragiles d'entre nous. » En début de soirée, il a publié un message vidéo dans lequel il a dénoncé des « propos détournés » par des « politiciens » coupables selon lui de « mensonges » et « d'hypocrisie », en s'en prenant à « l'idéologie égalitariste » qui « détourne l'égalité pour nier les cas particuliers ».
Un mauvais cap ?
Par ses propos, le président du parti Reconquête! nage à contre-courant des desseins actuels. En septembre 2021, le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU, après examen de la politique française en matière de handicap, réitérant sa position de 2017, a exhorté notre pays à « fermer tous les établissements », y compris des « classes spécialisées au sein de l'école ordinaire » (article en lien ci-dessous). Alors, oui, cette position de l'ONU, elle aussi jugée « radicale » par de nombreux parents et associations laisse un goût amer et inquiète car certains publics en situation de handicap très complexe exigent un accompagnement adapté. Certains citent l'exemple du Canada qui, ayant fermé tous ses établissements, se retrouve dans l'impasse pour « gérer les cas les plus sévères ». Dans ce contexte, les objectifs de l'ONU atteindraient-ils leurs limites pour certains publics ?
Pour autant, la déclaration initiale à l'emporte-pièce d'un candidat à la présidentielle laisse augurer de bien tristes présages sur la prise en compte du handicap dans son programme. Même si l'école inclusive reste imparfaite, même si beaucoup reste à faire, et cela vaut aussi pour la société, le « vivre-ensemble » est un cap non négociable. Plutôt que d'adopter d'emblée le postulat de l'exclusion, ne vaudrait-il pas mieux s'engager à mieux faire ?
Empêtré dans cette polémique qui lui a attiré une bronca unanime de ses adversaires politiques, Eric Zemmour a écourté son déplacement dans l'Aisne, samedi. Raison officielle : "Question de planning".
© Twitter Eric Zemmour