Interview de Bard Breien

Handicap.fr : Comment avez-vous découvert la thérapie de la pensée positive ? Qu'en pensez-vous et pourquoi avoir voulu en prendre le contre-pied ?

BB : C'est une nouvelle thérapie importée des États-Unis, encore très populaire en Norvège. Mais c'est un concept qui s'oriente davantage vers la solution et l'évitement du problème. Par exemple, plutôt que de se demander pourquoi nous sommes tristes, il vaut mieux penser à ce qui pourrait nous rendre heureux. J'ai assisté à quelques cours et j'ai pu réaliser à quel point ce programme était stupide et, bien sûr, tout à fait superficiel. J'ai aimé l'idée de faire exploser le concept dès que j'ai su qu'il était utilisé par de nombreux travailleurs sociaux en Norvège. Je trouvais que cette situation - Geirr qui est envahi par un groupe de thérapie dont les membres ont encore plus de problèmes que lui mais qui tiennent absolument à lui apprendre comment être heureux - était une bonne métaphore d'un phénomène auquel beaucoup de gens sont confrontés, à savoir, être à tout prix quelqu'un de positif.Bard Breien

Handicap.fr : Et montrer l'homme sous toutes ses coutures, y compris les plus sombres, est-ce cela l'art de la pensée négative ?
BB : Je voulais exprimer une situation assez simple : celle où la rage et l'amertume se révèlent libératrices. Lorsque Geirr prend le contrôle de la situation et encourage chacun des personnages à lâcher prise, à se défaire de leurs bonnes manières rassurantes, les vérités inconfortables peuvent enfin accoucher et les sentiments refoulés éclore. L'art de la pensée négative ne met pas seulement en scène la face sombre de l'individu et les sentiments négatifs qui le submergent quand il doit affronter un drame, comme un besoin de destruction où l'on ressent la nécessité de plonger en soi aussi loin que l'on peut, là où c'est sale et ensuite de creuser dans toute cette merde interne. C'est aussi une thérapie qui, plutôt que de refouler les sentiments désagréables, cherche leur signification : quand on a pris conscience de quelque chose, on en a moins peur. Il faut souffrir pour guérir !

Handicap.fr : Pensez-vous que les personnes handicapées se sentiront concernées par votre film ?
BB : La condition handicapée ne m'intéressait pas directement. Je voulais parler d'une situation terrible, inexorable. Tout le monde s'accorde sur le fait que devenir handicapé est une chose terrible. Comment gérer une situation douloureuse, résoudre les difficultés qui se posent face à une tragédie ? C'était cela qui m'intéressait, plus que le handicap en lui-même. Mais j'ai traité cette question sous un angle précis : celui de l'individu qui ne gère pas, qui ne sait pas comment faire face à une telle épreuve. Cependant, j'ai veillé à être au plus près des sentiments que les personnes handicapées pouvaient éprouver. J'ai demandé aux comédiens de faire des recherches sur le handicap pour que leur jeu d'acteurs soit le plus juste possible.

Handicap.fr : Comment le public handicapé a-t-il réagi ?
BB : Plusieurs personnes invalides ont vu le film et se sont sentis respectées car j'ai traité les personnages handicapés comme n'importe quel autre individu. Ils m'ont dit qu'ils étaient habitués à ce les gens soient compatissants avec eux sous prétexte qu'ils sont sur un fauteuil roulant. Je pense qu'ils ont donc également apprécié l'humour noir et le ton décalé avec lequel j'aborde leur condition et les sentiments qu'ils peuvent ressentir.

Handicap.fr : Pourquoi vouliez-vous raconter cette histoire-là ?
BB : Probablement, parce que je voulais me sentir mieux, me décharger d'une part de frustration et de colère. Je voulais peut-être chasser en moi cette petite personne négative et haineuse. Je souhaite aussi que les gens se sentent mieux, qu'ils acceptent leurs propres défauts au lieu de les dissimuler et de les dramatiser. C'est normal d'être paumé et de ne pas devenir cet être humain parfait auquel tout le monde actuellement s'évertue à ressembler. Ça me fatigue de voir se répandre ce concept américanisé de vie parfaite. Tout ça est ridicule, il faut mieux assumer ce qu'on est et se payer quelques bons délires.

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