Briser le tabou français !

Estelle Dolé s'engage pour la divulgation de l'information sur le SAF (Syndrome d'alcoolisation fœtal). Questions à cette militante de longue date...

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Handica.fr : Pourquoi vous êtes-vous engagée dans cette cause ?
Estelle Dolé : Je suis depuis longtemps une vieille militante sur la réduction des risques sur l'usage des drogues légales ou illégales, un mouvement qui est né à la fin des années 80 après la vague de médiatisation sur le SIDA. Mais si je suis sensibilisée au problème du SAF c'est que j'ai vu les effets dramatiques qu'il a eu sur l'enfant d'une amie qui a consommé de l'alcool pendant sa grossesse.

Handica.fr : Quels sont ses symptômes ?
ED : Cet enfant, aujourd'hui âgé de 8 ans, est né prématuré, tout petit, en manque. Il est resté quatre semaines en couveuse car il refusait de s'alimenter. Il cumule les atteintes physiques et psychologiques : problème de motricité fine, asthme, eczéma, anomalies neurologiques, troubles du comportement et retard mental. Il est d'une lenteur excessive et aura un manque d'autonomie tout au long de sa vie. Mais le pire dans tout çà, c'est qu'il porte son handicap sur son visage. Il a le faciès caractéristique des enfants d'alcooliques : maigre, le teint blafard, de tous petits yeux. Il est sans cesse en proie aux moqueries et aux insultes de la part des autres enfants. Un jour j'ai entendu l'un d'eux dire : « Mais on l'a trouvé où celui là, dans une poubelle ? ».

Handicap.fr : Comment cet enfant vit-il au quotidien ?
ED : Il y a évidemment un déni complet de la part de sa famille, probablement motivé par une part de culpabilité ou de honte. On lui fait faire des activités qu'il n'est pas en mesure de suivre. En plus de ses problèmes physiques, il a une très mauvaise image de lui-même et se sent dévalorisé. A terme, ces enfants deviennent souvent alcooliques à leur tour.

Handicap.fr : C'est un problème dont on parle rarement, pourquoi ?
ED : En France, pays du vin, c'est un sujet tabou. Il y a bien peu de médias qui se penchent sur ce drame qui touche pourtant de nombreuses familles, surtout dans les départements du Nord mais aussi à la Réunion. On doit considérer que c'est une coutume française, c'est rentré dans les mœurs ! Je crois que le lobby de l'alcool est suffisamment puissant pour qu'on taise ce genre d'information. Dans le livret de la CAF, il y a trois pages sur les méfaits du tabac pendant la grossesse et trois lignes sur ceux de l'alcool !

Handicap.fr : Et de la part des femmes, ce déni existe-t-il aussi ?
ED : C'est flagrant. Celles qui sont réellement alcooliques ne sont pas en mesure d'apprécier le danger pour leur enfant. D'autres pensent que leur grossesse va être un bon motif pour les inciter à arrêter mais elles n'y arrivent. Et puis il y a toutes les autres, qui consomment un ou deux verres par jour, sans savoir que ces petites quantités peuvent être extrêmement nocives. C'est pourquoi une députée de la Réunion a milité pour qu'apparaissent un message d'alerte sur les publicités mais sa présence reste encore trop timide.

Handicap.fr : L'enfant dont vous nous parler vit-il encore avec sa mère ?
ED : Il vient enfin de lui être retiré, après huit ans de garde alternée entre sa mère et son père, lui aussi alcoolique. Sa mère n'a plus le droit de le prendre tant qu'elle n'est pas « guérie » ! La justice a pris son temps, presque huit ans, et il vit désormais chez sa grand-mère. Mais elle a 62 ans. Que fera-t-on de lui quand elle ne sera plus en mesure de s'en occuper ? Il n'a pas sa place en IME car il n'est pas assez handicapé et il est totalement inadapté pour un système classique. Il n'y a aucun centre spécialisé pour ce type d'enfants qui ne sait même pas faire ses lacets et fait pipi dans sa culotte ! On fait quoi pour eux ? Ssurtout lorsqu'on sait qu'ils vivent souvent dans des familles où, du fait de l'addiction de leur parents, ils sont confrontés à de grandes violences.

Handicap.fr : Que préconisez-vous pour faire évoluer la situation ?
ED : Sortir du silence ! Il faut parler de la SAF et des ses terribles méfaits. Enfin briser cet insupportable tabou social. Il faut que les médias se mobilisent et que les médecins soient plus offensifs dans leur discours. En 2006, trois mères qui estimaient leurs enfants victimes du SAF ont réclamé devant le tribunal administratif de Lille réparation à l'Etat, lui reprochant l'insuffisance d'information sur les dangers de l'alcool pendant la grossesse, notamment sur les bouteilles. C'était la première fois qu'un tel litige était introduit devant la justice administrative. Elles ont évidemment été déboutées. La justice a jugé « suffisante » l'information du public, tout en reconnaissant que l'Etat n'avait pas adopté vis-à-vis de l'alcool « une attitude de prévention aussi diligente et efficace » qu'en matière de tabagisme. » C'est tout dire !

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