Défis, désirs et challenges de la médecine : jusqu'où aller?

La médecine moderne est capable de prouesses mais il en résulte parfois des dommages collatéraux qui portent le nom de " handicap ". Faut-il s'inquiéter de cette tendance, et quelle responsabilité faire peser sur cette science qui maintient en vi

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« Que penser de la réanimation d'un grand prématuré lorsqu'on mesure pleinement le risque de lésions cérébrales ? Les parents qui ne voulaient pas d'un enfant trisomique se retrouvent avec un enfant polyhandicapé, stigmatise Anne-Laure Boch ». Elle est neurochirurgienne au sein du groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière. En 2006, elle publie un doctorat de philosophie qui a pour titre : « Médecine technique, médecine tragique. Le tragique, sens et destin de la médecine moderne ». Lors du colloque « Handicap, handicaps : vie normale, vie parfaite, vie handicapée » organisé par le Collège des Bernardins le 30 mars 2012, elle interpelle, dérange, déroute... Une discours imagé, subtil et sans concession avec sa propre profession sur cette médecine moderne qui excelle dans la performance technique sans pour autant, toujours, assumer ses responsabilités humaines.

La facture est lourde


L'état végétatif (la situation la plus extrême), qui est la conséquence d'un traumatisme crânien, n'est jamais naturel et résulte d'une réanimation plus ou moins poussée. Sans elle, le patient décède. C'est donc un état artificiel créé par la médecine moderne. « Les patients sont alors placés dans des institutions car les proches ne sont plus en mesure d'assumer les soins de ces « morts-vivants », constate Anne-Laure Boch. Une telle situation engendre le ressentiment et une perte de confiance dans la médecine. » Auquel s'ajoutent des arguments financiers. Nous tous clamons notre solidarité mais qu'en est-il lorsqu'il s'agit d'assumer les investissements nécessaires à la survie ou au bien-être de tous ces « rescapés » ? « Car, pour notre société, le handicap est un problème, poursuit-elle, et la charge qu'elle représente en est un autre ! Lorsqu'on regarde la facture, on devient tout de suite moins prosaïque. Et ce malgré les obligations de la loi de 2005. »

Le lobbying médical


« Mon propos, poursuit-elle, n'est évidemment pas de critiquer la situation des personnes handicapées mais de révéler le décalage croissant entre ce que la médecine réalise et ce que la société lui demande. Elle induit autant de satisfactions que des frustrations ! ». Un discours qui peut être illustré par la situation des personnes âgées : à quoi bon vivre plus longtemps lorsqu'on est cloîtré en EPAD alors que la vie n'a de sens que dans l'autonomie ? En créant de telles situations de détresse, la médecine est-elle vraiment allée au bout de son contrat ? « Sa réponse, en tout cas celle du chœur céleste des lobbyings médicaux, c'est : « Nous voulons plus de moyens ! ». Mais avant que le paralytique ne se dresse de son fauteuil, radieux, il aura enrichi quelques médecins, proteste la neurochirurgienne ! La recherche fondamentale a disparu pour faire oublier son « odieuse vanité », à savoir apporter du confort aux patients. » Le bien-être ne serait donc qu'un détail, vraiment ? La médecine de soins semble faire la sourde oreille à cet appel ; elle a engendré un mal chronique, a placé le patient devant le fait accompli. Mais, après moi, le déluge...

La mort ou la mort ?


« Certains médecins ont pleinement leur responsabilité dans la création de ces situations inédites et il faudra bien qu'ils finissent par corriger les erreurs de leurs interventions ! Pour cela, que leur restera-t-il ? En amont, un diagnostic prénatal à outrance ; en aval, l'euthanasie ou l'arrêt des soins ? » Aujourd'hui, la France refuse officiellement de pratiquer l'euthanasie mais la société risque un jour de lui réclamer des comptes ou de l'aide pour la mettre en demeure de tuer ces patients qu'elle a créé. « La demande légale d'euthanasie, qui devient de plus en plus pressante, exprime le besoin de se rassurer. C'est une façon de se venger d'une médecine en qui l'on n'a plus confiance. Une sorte de profanation, de défiance contre le pouvoir médical. Jusqu'à pencher vers une autre abomination qu'est l'euthanasie légale... C'est le risque que nous courrons si l'on continue de réanimer des prématurés de 800 grammes et de vacciner contre la grippe des nonagénaires déments ! Il ne faudra alors pas s'étonner que l'on considère l'euthanasie comme notre seule planche de salut ! »

Evidemment, la « défense de la vie » est un concept bien flou et propre à chacun qui se nourrit lui aussi d'une réalité ambivalente. Ceux qui revendiquent le « droit de ne pas vivre handicapé » s'opposent à ceux qui s'attachent à la défense d'une vie singulière, même au cœur du handicap...

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