Handicap.fr : Quelle a été la remarque ou l'attitude la plus blessante que vous ayez entendue en tant que personne avec des troubles dys et comment y avez-vous réagi ?
Maxence Drouot : Sans hésiter : « Fais un effort. » Cette injonction semble anodine mais elle passe complètement à côté d'une réalité essentielle : pour obtenir le même résultat qu'un élève neurotypique, un « dys » doit souvent fournir beaucoup plus d'efforts. Rien n'est automatique. Depuis l'enfance, nous devons développer nos propres techniques d'adaptation, contourner les obstacles, organiser notre pensée autrement, inventer des stratégies pour simplifier ce qui, pour d'autres, est naturel. À force de travail, nous apprenons à mieux nous connaître, à comprendre nos mécanismes et à devenir plus autonomes. Cette exigence quotidienne forge une résilience profonde. Elle nous donne des réflexes d'analyse, de créativité et d'adaptation qui deviennent ensuite de vrais atouts dans la vie.
Sur le moment, je n'ai pas répondu parce que tout ne mérite pas une justification. Aujourd'hui, je laisse couler. Nos efforts, notre engagement et notre progression parlent d'eux-mêmes.
H.fr : Quand avez-vous compris que vous étiez multi-dys (dysgraphique, dyspraxique, dysorthographique) et TDAH (trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité) ? Et comment avez-vous vécu le diagnostic ?
MD : Mon premier souvenir remonte à l'école primaire. Très tôt, j'ai perçu que certaines tâches me demandaient plus de temps et d'attention : l'écriture, la copie, l'organisation… Mais j'ai rapidement compris que mon fonctionnement suivait simplement un autre chemin. Cette prise de conscience ne m'a jamais découragé : elle a été le point de départ de ma capacité à m'adapter et à élaborer mes propres méthodes.
Le diagnostic a marqué une étape décisive et constructive. Il a mis des mots sur mon fonctionnement et m'a offert une meilleure compréhension de mes forces comme de mes besoins. Ce moment m'a offert des repères, des outils et une vraie direction, et a ouvert la voie à un développement personnel solide. J'ai pu engager une prise en main complète de mon parcours : utiliser des stratégies efficaces, structurer mon travail différemment et bâtir une organisation qui valorise ma manière d'apprendre. Cette étape m'a permis de gagner en autonomie, en lucidité et en confiance.
H.fr : Comment as-avez-vous vécu concrètement les difficultés liées à votre handicap durant votre scolarité ?
MD : Mon parcours scolaire n'a jamais été un long fleuve tranquille. L'écriture manuelle était complexe et lente, la prise de notes demandait beaucoup plus d'efforts et l'organisation nécessitait une attention constante. Mes particularités ont eu un impact direct sur ma façon d'apprendre. Elles ont renforcé ma capacité d'adaptation, ma persévérance et ma résilience. J'ai compris que mes différences ne diminuaient pas mes possibilités ; elles m'obligeaient simplement à apprendre autrement.
H.fr : Quelles stratégies et quels outils avez-vous développés pour faire face à ces troubles ?
MD : Les outils adaptés ont joué un rôle fondamental dans ma réussite. L'usage du PC a transformé ma façon de travailler : il a compensé mes difficultés d'écriture, m'a permis de prendre des notes claires et de structurer mes idées. Les logiciels de correction orthographique m'ont offert la possibilité d'exprimer mes connaissances sans être freiné par mes difficultés liées au langage écrit. Le tiers-temps lors des examens m'a permis de restituer mes apprentissages dans des conditions plus équitables.
Mais ces aménagements ne représentent qu'une partie de l'équation. Le soutien humain a été déterminant : ma famille a toujours été présente, attentive et encourageante ; certains professeurs ont su reconnaître mes efforts et adapter leurs attentes. Cette combinaison d'outils, de soutien et de confiance m'a permis de transformer mes difficultés initiales en un parcours cohérent et solide.
H.fr : Qu'est-ce qui vous a motivé à cofonder l'association L'odyssée des dys ?
MD : Le déclic naît du parcours d'Emelyne. Diagnostiquée dès 6 ans, elle a vécu une scolarité semée d'obstacles, avant de réaliser, à 18 ans, l'ampleur du manque d'information autour des troubles dys. On critiquait souvent l'absence de sensibilisation. Un jour, on s'est dit que c'était à nous d'agir. L'idée prend forme : créer une association pour informer, accompagner et défendre les personnes concernées. Emelyne commence alors à témoigner au sein de sa ville de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). À chaque conférence, de plus en plus de personnes se déplaçaient. On a compris que le besoin était immense.
C'est dans ce contexte qu'elle m'a proposé de la rejoindre. Elle savait que j'étais multi-dys et que j'avais longtemps eu du mal à assumer cette différence. M'engager dans ce projet m'a permis d'en faire une force plutôt qu'un frein et de contribuer à améliorer la place des personnes « dys » dans la société.
H.fr : Depuis la création de l'association en 2018, quels sont, selon vous, les principaux succès ou avancées ?
MD : Il y en a eu beaucoup en sept ans ! Nous avons témoigné devant plus de 1 000 personnes : adolescents, jeunes professionnels, parents, enseignants… Cette diversité montre que le besoin d'information est réel et présent partout.
L'un des accomplissements d'Emelyne est sa place au sein de la commission accessibilité et handicap de la ville de Saint-Germain-en-Laye. Pour nous, c'est une immense fierté. Nous avons également mené un projet concret avec la médiathèque Marc Ferro : recenser tous les livres adaptés, créer un dépliant et proposer d'apposer une pastille « dys » sur les ouvrages. Cela donne aux jeunes une autonomie réelle dans leur accès à la lecture. Autre succès : un projet pédagogique avec une classe de 4ᵉ à Versailles, autour de l'identification des talents personnels. C'est exactement le type d'initiatives qui nous tient à cœur : aider les jeunes à valoriser leur singularité.
Nos succès sont avant tout locaux, concrets, humains. Chaque action, même modeste, contribue à transformer les regards. Emelyne dit souvent « que tout est un succès : même si, lors d'une intervention, on ne sensibilise qu'une personne, c'est déjà une personne de plus qui comprend mieux les troubles dys ».
H.fr : Quels sont, selon vous, les plus gros obstacles à la reconnaissance et à l'accompagnement des personnes « dys » dans le milieu éducatif et universitaire ?
MD : Aujourd'hui encore, il reste énormément de travail pour que les personnes dys soient pleinement reconnues et correctement accompagnées, que ce soit à l'école ou dans l'enseignement supérieur. Le chantier semble parfois encore à l'état brut. Malgré les avancées permises par les associations nationales, comme Dyslexiques de France, on constate un manque de formation des enseignants, une méconnaissance des aménagements possibles et une tendance à sous-estimer l'impact réel des troubles dys sur la scolarité.
Un autre défi majeur concerne le passage vers le monde professionnel, un domaine où tout reste à construire. À l'étranger, notamment grâce à des initiatives comme « Made by dyslexia », les mentalités évoluent plus vite. Les entreprises comprennent déjà que les profils dys représentent une richesse, une autre façon de penser. Nous sommes convaincus que ce mouvement finira par arriver en France mais il prendra du temps si l'on ne s'y engage pas sérieusement.
Enfin, les associations manquent cruellement de moyens. Elles accomplissent beaucoup avec très peu, ce qui limite la portée de leurs actions. Malgré ces obstacles, nous restons pleinement motivés. Avec Emelyne, nous sommes jeunes, engagés et déterminés à faire évoluer les choses.
H.fr : Vous suivez des études à l'ESIEE-IT (école d'ingénieur et d'experts IT) tout en étant apprenti ingénieur informatique et applications chez Consort groupe, et en co-gérant l'association. Comment parvenez-vous à concilier ces trois casquettes ?
MD : Cela demande une organisation solide mais c'est un équilibre qui me correspond. J'ai un esprit entrepreneurial : j'aime créer, structurer et faire avancer des projets. Le rythme est intense, bien sûr, mais il est aussi extrêmement enrichissant.
Concrètement, j'ai mis en place une organisation très structurée : planification hebdomadaire, outils numériques de suivi, objectifs clairs, répartition précise du temps entre cours, association et vie personnelle. Ces habitudes permettent de limiter la surcharge mentale et de garder une vision d'ensemble. J'ai aussi mis en place des routines stabilisantes, qui m'aident à maintenir ma concentration et à éviter la dispersion. Ce plan personnalisé me permet de gérer plusieurs responsabilités et de rester concentré sur mes objectifs malgré les défis liés au TDAH.
Et, dans l'association, je ne suis pas seul : Emelyne, en tant que présidente, gère une grande partie des responsabilités quotidiennes. Mon rôle, en tant que secrétaire général, est de l'accompagner, de la soutenir et de structurer l'association avec elle.
L'ESIEE-IT m'apporte aussi un réel soutien, notamment grâce au Statut national d'étudiant-entrepreneur (SNEE), qui nous a permis de structurer notre démarche, de poser des bases solides et de professionnaliser certains aspects de l'association. Cela nous permet d'avancer avec plus de sérénité et d'ambition, tout en restant fidèles à nos valeurs.
H.fr : Avez-vous traversé un moment de découragement dans votre parcours ? Qu'est-ce qui vous a permis de surmonter cette étape ?
MD : Oui, surtout au début de mes études d'ingénieur. La charge de travail, les exigences et les défis liés à mes troubles dys et au TDAH m'ont fait douter. J'avais l'impression de devoir fournir deux fois plus d'efforts. La résilience acquise depuis l'enfance a été déterminante. Lorsqu'on doit constamment fournir plus d'efforts pour atteindre le même résultat que les autres, on apprend à persévérer, à rebondir et à ne pas abandonner au premier obstacle. Aujourd'hui, je mesure à quel point cette résilience me sert dans mes études, mes projets et ma vie quotidienne. Elle est devenue l'une de mes plus grandes forces.
H.fr : Quel message souhaiteriez-vous adresser aux jeunes « dys » qui doutent d'eux-mêmes ?
MD : Continuez à croire en vous, à rêver grand, et ne vous fixez pas de limites. Oui, il y a des murs, mais nous les franchirons ensemble, un à un. Soyez fiers de qui vous êtes. Prenez le temps de vous connaître, d'identifier vos forces et vos limites et apprenez à composer avec elles. Votre différence est une chance. Et surtout : vous n'êtes pas seuls. Si vous souhaitez rejoindre notre mouvement, n'hésitez pas à nous contacter. Ensemble, montrons que notre différence est une force.
© Bruno Barthas
Maxence : l'Odyssée d'un jeune dys qui refuse la résignation
Multi-dys et TDAH, Maxence Drouot a longtemps dû se battre pour trouver sa place. Aujourd'hui apprenti ingénieur et cofondateur de L'odyssée des dys, le jeune homme de 25 ans prouve que le handicap ne limite pas les ambitions. Entretien inspirant.
"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"



