Handicap.fr : En août 2016, vous publiez « La résilience par le sport » (éditions Odile Jacob, fiche librairie en lien ci-dessous), consacré aux champions handisport français. Dans quelles circonstances avez-vous décidé de vous intéresser à eux ?
Hubert Ripoll : Lorsque j'ai achevé mon livre grand public « Le mental des champions, comprendre la réussite sportive », j'ai laissé passer la chance de m'entretenir avec de grands champions handisport. Dans « Le mental des coachs », je me suis un peu rattrapé en donnant la parole à deux entraîneurs handisport. C'était une façon d'entrouvrir la porte pour leur faire aujourd'hui toute leur place…
H.fr : Comment avez-vous fait votre choix parmi nos nombreux champions. Les connaissiez-vous ?
HR : J'en connaissais certains de réputation mais pas personnellement. J'ai voulu rassembler des témoignages variés, selon le genre et le handicap. Il fallait que tous ces athlètes aient atteint le haut niveau ou réalisé un exploit hors du commun. Quelques noms ont émergé. Mon objectif, c'était 24, un nombre minimum pour arriver à comprendre certains mécanismes.
H.fr : 24 champions d'exception, qui sont-ils ?
HR : Difficile de tous les citer. Il y a par exemple le nageur Philippe Croizon, le tennisman Stéphane Houdet, Marie-Amélie Le Fur (athlétisme) ou encore Sandrine Martinet (judo), toutes deux récemment médaillées d'or à Rio.
H.fr : Parmi eux, un vous a séduit plus que tout autre ?
HR : Je ne réponds jamais à cette question car je ne travaille qu'avec des personnes exceptionnelles. Chacun m'a apporté quelque chose et, si je devais tirer des ficelles, j'en tirerais 24.
H.fr : Vous parlez de « ficelle », y-a-t-il un fil conducteur dans tous ces parcours ?
HR : Ces êtres exceptionnels sont à la fois très distants de nous et très proches car il suffit parfois d'une étincelle pour changer le cours de la vie. J'ai essayé, dans ce livre, de comprendre quelle était cette étincelle. Voilà le fil conducteur qui est l'objet de toutes mes recherches.
H.fr : Et quel est l'élément qui leur a permis de résilier, c'est-à-dire de surmonter l'obstacle ?
HR : Il est important de distinguer le handicap tardif du natif mais ils ont néanmoins tous en commun d'avoir eu un environnement accompagnant. Cela a pu être la famille, les amis, parfois même l'héritage familial lointain. Deux d'entre eux qui, bien qu'ayant grandi en institution et dans un grand dénuement affectif familial, ont trouvé l'accompagnement nécessaire auprès d'éducateurs ou de personnel soignant. Tous les autres ont été portés par leur histoire familiale. Pour cette raison, ce livre s'adresse aux personnes touchées par le handicap mais également à leur entourage pour qui j'ai décrit les conditions d'un bon accompagnement.
H.fr : D'autres critères pour résilier ?
HR : Oui, il y a une 2e chose ; les individus en général, et les personnes handicapées en particulier, sont capables de laisser passer des émotions constructives qui nous élèvent. Mais, il faut, pour cela, laisser sa place à l'imaginaire, surtout pour des handicaps tardifs. Au moment de l'accident ou lorsqu'on est atteint d'une maladie invalidante, on connait un moment de sidération. C'est lorsque tout semble à terre que l'imaginaire peut permettre de sortir de ce corps mutilé pour se lever et atteindre les étoiles.
H.fr : Un exemple pour bien comprendre ?
HR : Oui, lorsque Philipe Croizon, quadri-amputé, sur son lit d'hôpital, voit une jeune femme traverser la Manche à la nage à la télé et se dit « Pourquoi pas moi ? ». La mécanique est en marche… Une petite flamme qui peut paraître insignifiante s'est allumée qui va amorcer quelque chose d'extraordinaire ; c'est un moment de grâce qu'il mettra 15 ans à concrétiser. Chez chacun de ces champions, j'ai pu identifier et décrire ce moment de grâce.
H.fr : Mais tout le monde ne deviendra pas champion. Que dire aux autres ?
HR : En effet, tout le monde ne traversera pas la Manche à la nage, ne remportera pas Roland-Garros ou ne sera pas médaillé olympique. Le titre du dernier chapitre du livre est : « Faut-il être champion pour être résiliant ? ». Absolument pas. J'ai également sollicité 24 autres sportifs anonymes qui ont répondu à un même questionnaire que les champions ; eh bien, sur deux questions (« Avez-vous le sentiment de vous être accompli dans la vie ? » et « Avez-vous le sentiment d'avoir accédé au bonheur ? »), les résultats des deux catégories sont identiques.
H.fr : Et tout cela grâce au sport ?
HR : Oui, ce qui me fait dire que le sport est un outil de résilience précieux. La résilience n'a rien à voir avec la satisfaction de l'ego ; c'est l'accomplissement de soi et le réinvestissement de sa blessure. Tout le monde peut l'obtenir et elle a valeur d'exemple…
H.fr : Alors justement, pourquoi ne pas vous être intéressé à des sportifs plus « communs » dont le fonctionnement peut aussi être généralisable à tous ?
HR : De la même façon que l'étude de la pathologie nous apprend sur l'être sain, l'étude des êtres exceptionnels, quels que soient leurs domaines d'excellence et leurs particularités, offre un miroir grossissant du fonctionnement de l'individu « commun » et, par là-même, nous révèle à nous-mêmes, que nous soyons handicapés ou valides, champions ou non, sportifs ou sédentaires. Les processus mis en évidence permettent de comprendre le fonctionnement de ces champions et sont généralisables à l'ensemble des sportifs handicapés. Ils seront utiles aux accompagnants, aux parents, aux entraîneurs, aux coachs, aux préparateurs. Aux sportifs valides aussi, qui apprendront sur eux-mêmes, sur la façon de progresser et de réussir en respectant l'harmonie de l'être.
H.fr : Avez-vous observé, dans ce domaine, une différence avec les sportifs valides ?
HR : S'il y a résilience, c'est qu'il y a une blessure, quel qu'en soit le type, affective, sociale… Et la personne va, dans ce cas, la réinvestir dans une activité. Pour les personnes handicapées, c'est différent car la blessure fondamentale est corporelle. Souvent, les valides vont chercher dans le sport une reconnaissance d'eux-mêmes, une satisfaction narcissique, au point d'en devenir vulnérables. Ce n'est pas le cas des personnes handicapées qui recherchent avant tout à s'accomplir. Les sportifs valides feraient d'ailleurs bien de voir comment fonctionnent ces derniers afin de mieux gérer leur ego. Il y a vraiment beaucoup de choses qui différencient ces deux publics ; et je trouve que les sportifs handicapés sont beaucoup plus équilibrés que les valides.
H.fr : Dans votre livre, vous dites que les Jeux paralympiques de Rio amplifieront ce mouvement. En êtes-vous certains car les perspectives ne sont pas très bonnes : dopage russe, vente de billets en berne, scandale financier... Londres n'était-il pas qu'un feu de paille ?
HR : Non, je suis certain que ces Jeux constitueront une avancée pour la reconnaissance du handicap en France. Il y a un engagement très fort des médias et c'est un signe. 100 heures de direct sur France Télévisions, on n'avait jamais eu cela aux Jeux de Londres. Il faut plusieurs ingrédients pour que les choses prennent et je suis persuadé que l'on va vers un mieux.
H.fr : Même pour la France qui peine à se hisser dans le classement des nations ?
HR : Quels que soient les résultats aux Jeux de Rio, les mutations sont en marche et la perspective des Jeux à Paris en 2024, dans lesquels les paralympiques sont pleinement associés, ne peut qu'être encourageante (Interview de Tony Estanguet en lien ci-dessous).
H.fr : Dernière chose, vous avez mis en ligne un blog (en lien ci-dessous) où vous invitez les lecteurs à s'exprimer…
HR : Oui, avec l'objectif de donner la parole au plus grand nombre de personnes handicapées, sportives ou non. J'envisage une suite à ce livre qui serait enrichie par toutes les contributions des lecteurs.
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