Décès de Françoise Rudetzki (SOS attentats) : hommage

Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS attentats, s'est éteinte le 18 mai 2022, après une vie de combat ; celui contre le terrorisme sur lequel elle revenait en détail dans une interview sur Handicap.fr en 2015, 15 jours après le Bataclan. Hommage.

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DERNIERE MINUTE DU 19 MAI 2022
« Nul n'a fait progresser le droit des victimes du terrorisme autant que Françoise Rudetzki », déclare l'Elysée dans un communiqué où il lui rend hommage. La fondatrice de SOS attentats s'est éteinte le 18 mai 2022, après une vie de douleurs, de combats et de victoires. Le 28 novembre 2015, elle rendait hommage aux victimes des attentats de Paris sur Handicap.fr (interview ci-dessous), réaffirmant sa lutte contre le terrorisme. Sept ans plus tard, son combat demeure malheureusement d'actualité... Mais, aujourd'hui, c'est à cette grande humaniste que la France rend hommage.

La bombe qui a bousculé sa vie

Cette sensibilité, elle la puisait dans son histoire personnelle. Rescapée de la Shoah, elle est ensuite victime d'un attentat en 1983 alors qu'elle dîne au restaurant avec son mari. Après 7 semaines de réanimation, 78 opérations et une centaine d'anesthésies générales, il lui fallut se faire au fauteuil, aux béquilles, et composer avec une souffrance qui ne la quitta plus. Elle transforme alors une bataille personnelle en grand combat collectif : en 1986, elle crée l'association SOS attentats et parvient à inscrire dans la loi française, par un amendement qui porte son nom, le droit à une indemnisation intégrale des victimes d'actes de terrorisme pour tous les préjudices subis. Puis elle milite sans trêve pour que soient pris en compte les stigmates psychiques, tout aussi profonds mais plus difficiles à détecter et à guérir. Après deux décennies de mobilisation, son association est dissoute en 2008.

Ouverture d'un musée-mémorial en 2027

« Françoise Rudetzki aura suivi, en somme, une quadruple devise : guérir, accompagner, prévenir, se souvenir », souligne l'Elysée. C'est pour honorer ce devoir de mémoire envers les victimes d'attentats qu'elle œuvra à la création d'une date de commémoration européenne et d'une statue-mémorial aux Invalides, qu'elle voulait compléter par un lieu plus grand, plus accueillant, où pourraient se recueillir tous ceux que le terrorisme a meurtris, de Nice à Strasbourg, du Bataclan à la préfecture de police. Là encore, elle remporta son combat : ce musée-mémorial ouvrira ses portes en 2027.

ARTICLE INITIAL DU 28 NOVEMBRE 2015
Handicap.fr : Lors des attentats du 13 novembre, on annonçait près de 100 personnes dans un état critique, que sont-elles devenues ?
Françoise Rudetzki : Quinze jours après, une quinzaine est toujours en réanimation. Mais on dénombre au total plus de 350 blessés. Certains resteront handicapés à vie. Il a fallu procéder à des amputations mais certaines personnes sont aussi devenues paraplégiques ou tétraplégiques.

H.fr : On a le sentiment, lors d'évènements tragiques comme celui-ci, que le décompte s'arrête aux victimes décédées…
FR : C'est tout à fait vrai. Les blessés, on n'en parle jamais… Qui se soucie des trois blessés graves de Charlie et du joggeur ? Qui sait que le jeune soldat de Montauban est tétraplégique, sous respirateur artificiel ? Le Figaro vient de publier un article sur les anciens blessés des attentats mais bien peu de médias se préoccupent de leur sort. François Hollande l'a déclaré lors de la cérémonie d'hommage aux Invalides, il faudra « réparer des vivants ». Mais qui se rappellera d'eux dans quelques semaines ? J'ai moi-même été victime, en compagnie de mon mari, de l'attentat au Grand Vefour en 1983. Il n'y a, certes, pas eu de décès mais la reconstruction de mes deux jambes a nécessité une centaine d'opérations ; une est restée non fonctionnelle (NDLR : Françoise raconte son histoire dans « Triple peine », paru en 2004 chez Calmann-Lévy). On mesure l'importance d'un attentat au nombre de morts mais pas de blessés.

H.fr : Lors de la cérémonie d'hommage du 27 novembre aux Invalides, on a vu quelques blessés en fauteuil roulant dans l'assistance…
FR : Oui, 700 proches étaient présents et, parmi eux, des grands blessés qui étaient en mesure de quitter leur hôpital, accompagnés par les équipes du SAMU.

H.fr : Au-delà des blessures physiques, il y a aussi les blessures psychologiques. La prise en charge dans ce domaine a-t-elle été à la hauteur ?
FR : Je sais à quel point cette souffrance est profonde. Mon mari a vécu ce calvaire pendant trente ans ; il est décédé en juin 2012. Le 13 novembre au soir, il y a eu une immense mobilisation avec la mise en place de nombreuses cellules psychologiques. Près de 1 500 victimes ont été accueillies à la mairie du 11e arrondissement et je n'ai jamais vu autant d'articles dans les médias sur ce sujet. Les mairies des 10e et 11e arrondissements ont fait un travail formidable en ouvrant des centres d'accueil, lieux de proximité où les habitants ont l'habitude de se rendre. Devant l'ampleur du drame, il a fallu appeler des équipes des CUMPS (cellules d'urgence médico-psychologiques) en renfort, venues de toute la France.

H.fr : Ce fut une aide dans l'urgence mais ce suivi sera-t-il assuré dans le temps ?
FR : C'est bien là le problème. Les victimes ne pourront pas poursuivre leurs soins avec les mêmes thérapeutes. Celle de la mairie du 11e ferme ses portes ce week-end. D'autres vont ouvrir mais il faudra alors tout recommencer, tout raconter, à de nouveaux interlocuteurs. La pire chose dans ces circonstances, c'est de devoir se confier à plusieurs psychologues alors que le lien ne peut en principe être rompu que par le patient lui-même. Il faut donc trouver rapidement une solution. Je suis reçue dans quelques jours par un membre du cabinet de la ministre de la Santé ; j'ai rencontré le Dr Patrick Pelloux, urgentiste et concerné par l'attentat de Charlie, il tient le même discours.

H.fr : En cas de handicap, quelle prise en charge permet d'accompagner les victimes ?
FR : En 1985, alors que j'étais présidente de l'association SOS Attentats que j'avais créée (NDRL : dissoute en 2008), j'ai participé à la rédaction de la loi créant le FGTI (Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions). Je suis membre du conseil d'administration depuis l'origine. De 1986 à 1990, il n'indemnisait que les victimes du terrorisme ; à partir de 1990, il s'est étendu à toutes les victimes d'agressions graves (agressions, viols …) relevant du pénal. Aujourd'hui les victimes atteintes aux biens sont aussi indemnisées.

H.fr : Depuis la création de ce Fonds, combien de victimes ont-elles été indemnisées ?
FR : De 1986 à fin 2014, donc avant les attentats de janvier, 4 200 victimes du terrorisme ont été indemnisées (attentats, prises d'otages) et 240 000 victimes d'infractions. Avant le 13 novembre, depuis début 2015, nous avons ouverts près de 300 dossiers de victimes du terrorisme. Suite au 13 novembre, nous estimons qu'il y en aura plus de 4 000.

H.fr : Qui peut en bénéficier ?
FR : Toute personne victime d'attentat en France, Français ou étranger, ou tout Français victime d'attentat à l'étranger, ainsi que les otages.

H.fr : Depuis 2004, les choses ont encore évolué ?
FR : Oui, je ne souhaitais pas faire des quêtes sur la voie publique pour alimenter ce Fonds en cas d'attentats majeurs. Le FGTI est financé depuis l'origine par une contribution de solidarité nationale assise sur les contrats d'assurance de biens (multirisque habitation, automobile, entreprise…) fixée à 3,30 euros depuis 2004. Depuis plusieurs années, je souhaitais une augmentation de quelques centimes par an pour être prêt en cas d'attentats de grande ampleur. Après ceux de janvier 2015, cela s'est imposé. Le conseil d'administration a proposé au ministre des Finances de l'augmenter de 1€ pour 2016 ; un arrêté a été publié le 1er novembre.

H.fr : À quelle indemnisation les victimes blessées peuvent-elles prétendre ?
FR : Notre système est unique au monde et propose une prise en charge intégrale de tous les préjudices, qu'ils soient psychologiques, physiques, économiques ou professionnels. Et sans plafond ! Il permet, par exemple, en cas de handicap, d'aménager le lieu de vie, de financer une reconversion professionnelle… Le FGTI intervient dès que se produit un attentat et reçoit aussitôt du Procureur de Paris la liste des victimes. Il verse des provisions pour faire face à l'urgence et payer les frais d'obsèques. D'autres provisions peuvent être versées si nécessaire, sur la base de certificats médicaux et après évaluation des séquelles provisoires. Lorsque l'état de santé est stabilisé, des expertises permettent d'évaluer les séquelles définitives et une indemnisation sous forme d'un capital ou d'une rente.

H.fr : Il en va de même pour les séquelles psychologiques ?
FR : Les victimes doivent fournir des certificats médicaux ou des attestations de psychologues. Lorsque l'état de santé est stabilisé – on considère qu'il faut au moins un an -, le psychiatre évalue les séquelles psychologiques et leurs conséquences économiques, qui permettent de fixer le montant des indemnisations.

H.fr : Les victimes d'attentats ont-elles un statut particulier ?
FR : Oui, depuis une loi du 23 janvier 1990, celui de victime civile de guerre, avec un carnet de soins spécifique. À ce titre, elles ont accès aux hôpitaux militaires -même si dans le contexte des attentats du 13 novembre, Marisol Touraine, ministre de la Santé, a accordé la gratuité des soins par la Sécurité sociale pendant un an à tous-. Ce statut permet le versement d'aides sociales par l'ONACVG (Office national des anciens combattants et victimes de guerre) qui se cumulent avec celles du Fonds de garantie. Quant aux enfants qui ont perdu un parent, et dans un cas leurs deux parents, ils obtiennent le statut de pupille de la Nation, de même que ceux qui ont un parent gravement blessé ou ont été eux-mêmes blessés physiquement ou psychologiquement. La demande peut-être faite jusqu'à 21 ans.

H.fr : Vous avez demandé à siéger au sein de la commission société et santé du CESE (Conseil économique, social et environnemental), qui a également en charge les questions de handicap, est-ce un sujet que vous allez porter ?
FR : Oui, évidemment. J'ai assisté à ma première réunion le 25 novembre 2015. Je sais que de nombreux rapports sur le handicap ont été rédigés que je compte bien exhumer.

H.fr : Quelle sera votre priorité lors de ce mandat ?
FR : M'occuper de la réinsertion des victimes, avec l'obtention de vrais droits pour ceux qui resteront handicapés. Leur permettre d'accéder à de meilleures aides techniques et humaines, à une véritable reconversion professionnelle, à l'accessibilité dans les lieux de vie. Le report de l'obligation des aménagements des bâtiments est inacceptable ! Je demande aux Pouvoirs publics une nouvelle politique d'insertion dans la société. Je compte bien profiter de l'émotion actuelle pour dépasser le stade des rapports et mener des actions. Cet engagement, je le porte au nom des victimes du terrorisme, mais je souhaite aussi qu'il bénéficie à toutes les personnes handicapées. J'ai la chance de pouvoir prendre la parole alors je ne compte pas m'en priver ! Les personnes handicapées ne sont pas des casse-tête mais vont devenir des casse-pieds.

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"Tous droits de reproduction et de représentation réservés.© Handicap.fr. Cet article a été rédigé par Cassandre Rogeret, journaliste Handicap.fr"
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