La passionaria des invisibles

Le 11 juin dernier, lors de la 50ème assemblée générale de l'Unapei*, Christel Prado a été élue présidente. Portrait d'une mère militante, à la tête d'un bataillon de 700 000

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(* Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis)

Handicap.fr
: Qui sont ces « invisibles »?

Christel Prado
: Les 700 000 handicapés mentaux de France. Vous en croisez beaucoup dans la rue, à la télé, au cinéma ? Ils sont ignorés des médias, rarement intégrés dans les clubs de sports, les lieux de culture ou de vacances... Ils sont rejetés de notre vie collective. Je l'ai vécu et c'est certainement ce qui a été le plus grand moteur de mon engagement. Je n'arrivais pas à comprendre qu'une naissance puisse être un facteur d'exclusion pour toute une famille. Or ces personnes vous apportent autre chose, un regard juste et humble sur la vie.

H
: Pourquoi avoir accepté la fonction de présidente?

CP
: Je suis maman d'une jeune femme polyhandicapée et autiste de 18 ans. Je me suis engagée auprès de l'Unapei en 2002, et j'ai gravi les échelons. J'avais envie d'orchestrer cette Union d'une certaine manière, en lui offrant mes compétences et en partageant au mieux le travail entre tous. On m'a dit que le fait d'avoir 42 ans était un atout. Je vois très souvent de jeunes parents qui se font un devoir de se battre seuls sur des chantiers déjà défrichés. Je veux les convaincre que les associations locales sont un vrai soutien, et qu'ils aient confiance en elles.

H
: Etre présidente, cela implique quelles contraintes à titre personnel ?

CP
: Des journées de 6h à 23h, en plus de mon emploi de cadre administratif, des semaines de bénévole de plus de 50h ! Au point que j'en oublie parfois de manger. Le fait que ce soit bénévole est important mais je souhaite tout de même qu'on puisse travailler avec les pouvoirs publics sur ce statut car il n'est pas toujours compatible avec un travail à plein temps. Et il est pourtant essentiel de rester dans la vie active pour mieux connaître ses interlocuteurs et ne pas être « handicap centrée »!

H
: Quels seront vos chantiers prioritaires ?

CP
: Il y a 5000 gamins qui sont chez eux sans aucune solution éducative. On met en place des diagnostics précoces mais aucun accompagnement. Or on se rend compte qu'investir dans l'éducation permet d'alléger les compensations en aval. C'est tout bénéfice pour les dépenses publiques ! Je n'ai découvert ce qu'était une école qu'avec mon plus jeune fils. Je n'y étais jamais entrée avec ma fille. Je sais que l'intégration scolaire pour les enfants en grandes dépendance ou présentant des troubles envahissants du comportement est compliquée mais lorsque je vois ce qui est fait en petite section, notamment sur les notions de repères et de comportements sociaux, je me dis que c'est bon pour tous. Il est temps que les pouvoirs publics considèrent tous les enfants comme des citoyens républicains.

H
: Et qu'en est-il de la question de l'accompagnement des personnes handicapées mentales vieillissantes ?
CP
: Encore un sujet dramatique. A 60 ans, on oblige ces personnes à quitter l'établissement dans lequel elles ont vécu, pour certaines, des décennies, pour intégrer une maison de retraite avec des patients bien plus âgés, sans plus d'amis ni de repères. Une seule solution : prolonger l'accueil dans leur établissement spécialisé jusqu'à la fin de leur vie !

H
: Vous regrettez également la disparité de prise en charge d'un département à l'autre ?
CP
: Oui, en effet ! Il existe de grands déséquilibres d'une MDPH à l'autre sur la prise en compte et la reconnaissance du handicap. Nous avons notamment beaucoup de mal à faire reconnaître la notion d'aide humaine, considérée pourtant comme une véritable « prothèse » pour les personnes handicapées mentales.

H
: La loi de 2005 impose une accessibilité totale des lieux publics en 2015, de quelle manière peut-elle être envisagée pour les personnes handicapées mentales ?
CP
: Un exemple ? Les centres Leclerc, dans le cadre de leur certification qualité, ont formé leur personnel à l'accueil de la clientèle déficiente mentale. A l'époque, l'Unapei n'avait pas encore construit son argumentaire mais aujourd'hui nous sommes au point et nous avons un large panel d'idées et d'outils à disposition.

H
: Le 12 juin dernier, un grand concert à la Villette (Paris) rassemblait de nombreux artistes et 20 000 personnes pour scander « Ensemble, c'est tous ! », le slogan de la nouvelle campagne de l'Unapei.
CP
: Oui, c'était pour ses 50 ans. Cette campagne vise à mobiliser l'ensemble de la société pour une meilleure intégration des personnes handicapées mentales. Et comme l'a dit de chanteur M, remerciant le public de s'être déplacé pour cette « belle cause », « entre autiste et artiste, il n'y a qu'une seule lettre de différence ».

H
: Quels sont les messages qui vous ont le plus touché après votre nomination ?
CP : On prétend que le handicap mental est très mal compris mais on ne soupçonne pas à quel point les personnes handicapées mentales comprennent. Alors lorsque l'une d'entre elles vous dit, « Et bien dis donc, tu vas avoir beaucoup de travail, il va falloir que tu prennes de la potion magique », ça c'est du concret et ça vous porte!

Contact:
Unapei : 01 44 85 50 50
http://www.unapei.org
http://www.ensemble-cest-tous.org

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