Projet de décret : l'AAH en danger ?

Le 27 avril 2011, le Comité d'entente des associations représentatives de personnes handicapées lance un cri d'alarme sur un projet de décret sur les modalités d'attribution de l'AAH. Echo avec Jean-Marie Barbier, président de l'APF*.

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* Association des paralysés de France, membre du Comité d'entente qui rassemble 70 organisations nationales représentatives des personnes handicapées et des parents d'enfants handicapés.

Handicap.fr
: Le Comité d'Entente accuse l'Etat de porter atteinte au droit des personnes handicapées, qu'en est-il ?
Jean-Marie Barbier
: Le gouvernement a soumis à l'avis du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) un projet de décret relatif aux modalités d'attribution de l'allocation adulte handicapé (AAH) qui marque une rupture inacceptable dans la politique du handicap. Ce projet propose que l'AAH soit accordée à la majorité des 4/5ème des membres lors des commissions des droits et de l'autonomie organisées aux seins des MDPH et auxquelles participent évidemment les associations. En d'autres termes, le représentant de l'Etat (souvent issu de la Direction de la cohésion sociale, ex DDASS) qui, jusqu'à présent, donnait son avis, disposera d'une minorité de blocage qui lui permettra de refuser l'attribution de l'allocation.

H
: C'est presque un droit de veto ?
JMB
: C'est un peu plus subtil. Dans le projet initial, le représentant de l'Etat avait en effet le droit de veto. Mais cela revient au même. A terme, si l'on poursuit cette dérive, l'ensemble des droits des personnes en situation de handicap pourrait ainsi être placé sous la tutelle du seul financeur. Or il ne revient pas à l'Etat de reconnaître le droit mais de permettre de l'appliquer.

H
: Mais, avec ce système, pas de recours possible ?
JMB
: Il est vrai que, pour imposer son refus, le représentant de l'Etat va devoir argumenter et justifier sa décision. Ensuite, il existe deux systèmes de recours mais qui sont encore assez mal organisés : la médiation (mais la plupart des MDPH n'ont pas nommé de médiateur !) Et le recours à une nouvelle audience, organisée, au final, avec les mêmes composantes.

H
: Pourquoi vouloir modifier la procédure actuelle ?
JMB
: Le prétexte invoqué, ce sont des attributions un peu folkloriques dans une dizaine de départements qui ont joué sur les subtilités de l'article 35-2 pour accorder l'AAH à des personnes qui, peut-on le penser, relèvent davantage du handicap social. Ces cas isolés ont suffi à jeter le discrédit sur la capacité d'appréciation des membres de la CDAPH dans l'ensemble de la France. Mais ce n'est pas parce qu'une personne demande une AAH qu'on lui octroie systématiquement.

H
: Si cet argument n'est qu'un prétexte, quelle est la véritable raison de ce projet ?
JMB
: Les questions financières, tout simplement. L'idée, c'est de rassurer Bercy (le ministère des finances) qui considère que l'enveloppe attribuée au handicap est trop lourde. Oui, l'augmentation du nombre de bénéficiaires est réelle ! Mais c'est parce que la loi de février 2005 a permis d'introduire de nouvelles catégories de handicaps, notamment psychiques et « troubles dys ». Cette reconnaissance a inévitablement alourdi le montant global ! Nous n'y pouvons rien si la population devient plus fragile ! Et puis, ce nouveau projet est aussi la conséquence des résultats décevants de la politique en faveur de l'emploi des personnes en situation de handicap. L'insertion dans le monde professionnel « ordinaire » aurait du permettre de réduire le nombre des titulaires de l'AAH. Mais toutes les entreprises ne jouant pas le jeu, le système d'accès à l'emploi a montré ses limites. Alors, maintenant, la solution c'est de s'attaquer directement à l'AAH !

H
: Y-a-t-il vraiment des raisons de s'alarmer sur les intentions des représentants de l'Etat munis de ce nouveau pouvoir ?
JMB
: Je vais vous donner un exemple. Dans le Bas-Rhin, 200 personnes, sur les 8000 allocataires de l'AHH, ont vu le montant de leur allocation diminuer parce que les contrôles y sont plus sévères, plus inquisiteurs. Dans un autre département, deux jumeaux handicapés ont bénéficié, l'un d'un taux à 79% et l'autre à 80%, sachant que c'est la barre fatidique des 80% qui déclenche la prise en charge. Je vous assure, le mouvement est déjà en marche !

H
: Quand avez-vous été alerté sur cette mesure ?
JMB
: Début 2011, dans le cadre de l'une des commissions du CNCPH. En guise de mécontentement, les associations présentes ont quitté la salle.

H
: Quelle est la position du CNCPH sur cette question ?
JMB
: Il va évidemment donner un avis négatif d'ici quelques jours, mais le CNCPH n'est qu'un organe consultatif. Il ne faut pas se faire d'illusion, les associations réunies dans ce conseil n'ont pas de contrepouvoir réel, et notre prise de position n'aura aucune incidence.

H
: Quels seront alors vos moyens d'action ?
JMB
: Il va sans dire que si ce décret passe en l'état, nous nous interrogeons fortement sur l'utilité de continuer à participer aux différentes instances du handicap, au premier rang desquelles figure la prochaine Conférence nationale du handicap de juin 2011. Nous pourrions, par exemple, refuser de siéger aux commissions des MDPH qui ne peut prendre une décision que si le quorum est atteint, ou sortir de la salle au moment du vote.

H
: Ce projet est-il en contradiction avec les grands fondements de la loi de 2005 ?
JMB
: Evidemment ! C'est un mépris total pour la reconnaissance du rôle de tous les acteurs au sein des MDPH. Ce projet nie et réduit leur rôle dans ce domaine.

H
: Qui sont vos interlocuteurs au sein du Gouvernement ?
JMB
: Les cabinets de mesdames Montchamp et Bachelot, ainsi que la DGCS (Direction générale de la cohésion sociale). Nous avons eu aussi l'occasion d'en parler la semaine dernière à une conseillère technique de l'Elysée. Elle nous demande de ne pas faire de procès d'intention, de « ne pas critiquer un système avant de l'avoir testé ». Or, il y a eu un précédent ; nous avons déjà été échaudés avec la Prestation de compensation du handicap (PCH) puisque les Conseils généraux ont désormais la majorité qui leur confère le pouvoir de décision final. Résultat des courses : on ne décide plus du montant des compensations en fonction des besoins mais de l'argent qui reste dans les caisses. Et, pour le gouvernement et l'Elysée, cette nouvelle responsabilité accordée aux représentants de l'Etat va renforcer leur implication puisqu'ils ne prenaient pas toujours la peine de siéger dans ces commissions.

H
: Que demandez-vous au gouvernement ?
JMB : Le Comité d'entente lui demande de renoncer sans délai à son projet.

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