Cette femme est complètement toquée ! Elle s'appelle Dany Gombert. Nous l'avons rencontrée sur le salon Handica qui s'est tenu à Lyon. Elle arbore les allées avec deux signes très distinctifs : une toque de chef et des lunettes noires. Mélange singulier mais qui fait recette. Et lorsqu'il est question de cuisine, Dany, présidente de l'association Epicure, sait se montrer très convaincante. Envers et contre tout, contre tous, elle vient d'ouvrir, à Saint-Gaudens, en Haute-Garonne, un lycée hôtelier destinés aux déficients visuels. Une histoire singulière sur laquelle nous faisons toute la lumière.
Une dentiste devenue cuisinière
Retour en arrière, il y a 20 ans. Dany Gombert a 31 ans, elle est dentiste. Un beau cabinet, une clientèle florissante, des ambitions à la tonne... Et puis, en 6 mois, sa vie bascule. Atteinte d'une maladie génétique, elle perd progressivement la vue, et en particulier la vision centrale. « Je ne savais plus quoi faire de ma vie. 3 ans d'enfer où l'on m'a proposé tous les métiers « stéréotypés » pour malvoyants : kiné ou standardiste ! Pas question : je voulais relever d'autres défis et refusais d'être déconsidérée. » Dany bascule dans un monde inconnu : celui du handicap. Elle apprend le braille dans une association, y rencontre d'autres malvoyants qui vivent de l'AH en marge de la société. Pour elle, pas question de fermer les yeux sur ses ambitions. En perdant la vue, elle sent que ses autres sens sont exacerbés. Alors pourquoi ne pas les exploiter. Elle aime la cuisine et se met aux fourneaux malgré les mises en garde des uns et des autres : gare aux couteaux, au gaz...
Des CDI déjà signés
Lui vient alors cette idée folle : ouvrir un lycée hôtelier. Les bons « cuistots » se font rares, il y a de la demande mais ces jeunes malvoyants seront-ils embauchés ? Malgré le scepticisme ambiant, Dany va frapper aux portes des grands groupes, comme Accor, et revient avec des accords signés. On lui promet des CDI ! Mais restent les locaux. Dany veut du neuf et du beau. Elle écume les ministères, grappille les subventions, se fait « jeter » à l'occasion...« J'ai commencé mes démarches sous Mitterrand et, au fil des mandats, mon dossier disparaissait. J'ai du écrire le refaire des centaines de fois mais je me suis toujours jurée que je ne lâcherais pas ! » Un véritable parcours du combattant qui vaut toutes les thérapies : « J'aime créer, j'aime le contact humain. C'est une expérience personnelle très riche et je n'ai pas eu besoin de psy. »
Tout gratuit, même l'internat
15 ans de bataille pour mener à bien son projet, qui prend le nom d'Epicure, la Grande école de la vue. Son établissement, flambant neuf, ouvre enfin ses portes en septembre 2009 avec une première promotion de 12 élèves. Elle en attend 48 dans 4 ans. « C'est une première en France. Il existe déjà des formations en cuisine mais au niveau CAP. Nous aspirons à devenir l'Ecole supérieure de la cuisine. Les connotations liées au handicap sont souvent négatives et pour faire taire ces clichés, nous devons viser l'excellence. Nous travaillons avec des outils ordinaires pour que nos jeunes puissent intégrer n'importe quelle cuisine avec le moins d'adaptations possibles. » Ce centre médico-social s'adresse aux jeunes déficients visuels de 16 à 20 ans et propose, après la troisième, un bac pro sur 4 ans. L'établissement ouvre ses portes dans trois mois mais, pour le moment, un seul inscrit ! « Je pensais que çà allait être la déferlante ! » Problème de communication, certes mais aussi de préjugés : « Ca doit être très cher tout ca ? » Et Dany de démentir avec enthousiasme : « Au contraire, tout est gratuit, y compris l'internat ! Nous sommes un lycée privé sous contrat avec la DDASS et l'Education nationale et nous sommes financés par des associations de malvoyants, l'Education nationale et des sponsors privés. »
2 autres structures !
Mais Dany n'en reste pas là. Deux autres projets ont vu le jour. Elle a monté sur le site de Saint-Gaudens un grand pôle dédié à la déficience visuelle, destiné aux 18 ans et plus, qu'ils soient accidentés ou aveugle de naissance. Elle y propose des séjours de 2 à 6 mois pour leur permettre de retrouver une totale autonomie avec de nombreuses prises en charge (orthoptie, ergothérapie,...). Ce centre ouvre en décembre 2009 et propose 15 places (séjour entièrement pris en charge par la Sécurité sociale sur prescription médicale). Enfin, accessible au plus grand nombre, Dany a conçu un centre ressource et de formation professionnelle qui propose de venir tester du matériel optique et met à disposition du public des informations adaptées.
Pas seulement la pluche des patates !
Femme volontaire et passionnée, Dany est déjà aux fourneaux et vous concocte un cocktail explosif, fait d'enthousiasme et de persévérance. « « Nous nous engageons à suivre les jeunes tout au long de leur vie et à leur trouver un autre débouché professionnel si leur cécité les empêche de continuer la cuisine. Nous répondons en cela aux attentes des entreprises qui ont une obligation d'emploi de travailleurs handicapés mais ne trouvent pas de recrues. Même si ma démarche bouscule un peu les habitudes de l'hôtellerie, nous leur proposons des employés parfaitement qualifiés car je refuse la discrimination positive. Mais il faut arrêter de penser que les handicapés sont juste bons à la pluche des patates ! Mon projet porte un message très fort et c'est de cette manière que nous arriverons à être intégrés sans échec. » Appel aux volontaires : il reste encore des places pour la rentrée 2009!