Handicap.fr : Quel est votre palmarès en tant que skippeur ?
Damien Seguin : Une médaille d'or au Jeux paralympiques d'Athènes, une d'argent à Pékin, des titres de champion du monde et de France, aussi bien dans les challenges handisports que valides. Après un passage en Figaro il y a quatre ans, le virus m'a pris et j'avais envie de poursuivre l'aventure tout en me ménageant suffisamment de temps pour la Voile olympique afin de défendre mon titre jusqu'à Londres 2012...
H : Vous dites avoir été le premier marin avec un handicap à participer à la Route du Rhum (en novembre 2010) ?
DS : Oui, en effet. Il n'y a jamais eu de précédent sur cette traversée en solitaire. Le parcours a été long pour pendre le départ. Je pratique la course au large depuis 2005 mais la première fois où je me suis inscrit à la Solitaire du Figaro, on m'a refusé prétextant que mon handicap était insurmontable ! S'en est suivie une bataille politique et médiatique d'un an, à l'issue de laquelle j'ai enfin pu entamer les différentes phases d'apprentissage de ma formation.
H : Justement, lorsqu'on est capable d'accomplir un tel exploit, qu'est ce que cela peut bien vouloir dire « être en situation de handicap » ?
DS : Franchement pour moi, pas grand-chose. Je suis né comme cela, je navigue depuis l'âge de dix ans et je me suis toujours débrouillé avec mes propres moyens. Je serais bien « handicapé » si je devais barrer à deux mains. Mais force est de constater qu'on veut mettre les gens dans des cases. J'ai pourtant l'impression de faire partie de la même famille que les autres. Pensez-vous que je suis plus handicapé en traversant les mers qu'un valide qui reste à terre ? La première fois où l'on m'a dit « Tu n'es pas comme les autres », c'est lorsque j'ai voulu passer mon permis de conduire. Là, ça a été difficile à digérer.
H : Qu'est ce qui vous handicap le plus sur un bateau ?
DS : Rien ! J'ai toujours trouvé des solutions à mes problèmes. Je n'ai pas voulu jouer de mon handicap pour avoir des privilèges, et mon bateau n'avait donc bénéficié d'aucune adaptation. Les gens me demandent toujours : « Mais comment tu arrives à faire ça avec une seule main ? ». Je ne me pose pas la question, je fais autrement, c'est tout ! Moi, par exemple, je ne comprends pas comment on arrive à lacer ses chaussures avec deux mains !
H : Pourquoi avoir choisi de ne pas être appareillé ?
DS : Encore une fois, n'avoir qu'une main, c'est « ma » norme ! Et puis lorsque j'étais petit, la technologie n'était pas très au point. On me proposait des prothèses esthétiques mais qui ne convenaient pas à mon tempérament hyperactif ! A 8 ans, ma maman m'a emmené chez un prothésiste et je lui ai dit : « Je ne veux pas de main, je préfère qu'on me greffe un couteau suisse ! ». C'est un choix qui appartient à l'enfant et je me bats aujourd'hui contre les parents qui sont davantage motivés par le souci de dissimuler l'anomalie que par le désir d'autonomie de leur enfant.
H : Est-il nécessaire, pour faire taire les idées reçues, de viser l'excellence lorsqu'on est en situation de handicap ?
DS: Lorsque vous partez 20 jours en mer en solitaire, l'excellence, c'est un minimum ! Mais il est vrai que j'ai toujours fait en sorte d'être irréprochable, prêt à 100 %, pour qu'on ne puisse pas invoquer mon handicap en cas d'accident sur l'eau. Avec cette dixième place (sur 44) sur la Route du Rhum, je crois avoir fait mes preuves !
H : Pourquoi dites-vous avoir besoin de faire admettre votre handicap dans la sphère très fermée de la course au large ?
DS : La course au large demande des efforts et compétences extrêmes et, par définition, le handicap y trouve assez difficilement sa place. Pas parce qu'on ne souhaite pas intégrer les personnes handicapées, en termes d'image, mais parce qu'on pense, et « on » ce sont surtout les organisateurs, que le handicap représente un danger. Mais je n'ai rencontré aucune réticence de la part des marins qui m'ont toujours respecté car ils savaient que je me lançais dans un challenge extrême.
H : Quelle a été la motivation de vos sponsors en vous apportant leur soutien ?
DS : Mes partenaires, Virgin mobile et le consortium Stade de France, défendent les valeurs de solidarité et d'entraide qui me sont chères, même s'ils savaient évidemment que ma participation serait suivie de près par les medias. Ils ont eu la générosité de privilégier le nom de mon association « Des pieds et des mains » sur la coque du bateau, plutôt que leur propre logo. Ils ne sont pas là pour s'acheter une ligne de conduite mais pour mobiliser leurs salariés aux notions d'intégration et de partage. En 2011, le Stade de France organisera d'ailleurs une grande journée handisport, avec de nombreuses démonstrations et mises en situation, à laquelle tous les salariés seront conviés.
H : Vous avez créé une association « Des pieds et des mains ». Quelle est sa vocation ?
DS : Elle a pour objet est de rendre la voile accessible aux enfants et adultes handicapés. Nous avons pris le parti de les faire naviguer avec des personnes valides, en sensibilisant les clubs déjà existants et en mettant à leur disposition des bateaux et du matériel adaptés. Pour le moment, nos actions sont surtout proposées en Loire-Atlantique mais nous avons le projet de les étendre à toute la France.
H : Vous participez à des compétitions valides aussi bien que handisport ? Quelle différence faites-vous entre ces deux univers ?
DS : Je regrette bien qu'il y ait deux univers, même si je ne renie pas l'intérêt et la portée des Jeux paralympiques qui permettent de se retrouver sur des bases communes. Mais comme beaucoup d'athlètes handisport qui pratiquent à haut niveau, je fais la démarche de concourir dans les deux catégories. Pourquoi faut-il toujours tout cloisonner ?
A lire...
Le très beau livre du photographe Vincent Ghyssens, « Damien Seguin, la Route du Rhum en Solidaire », sera présenté officiellement ce vendredi 11 février 2011 lors d'une cérémonie organisée en l'honneur de Damien à la mairie de Guérande (Loire-Atlantique).
Lien : www.damienseguin.fr
Damien Seguin : la Route du Rhum, de main de maître !
Damien Seguin est arrivé 10ème lors de la Route du Rhum 2010. Un très beau palmarès pour ce skippeur en solitaire de 31 ans, professeur d'EPS dans un collège, qui a une particularité inattendue pour un tel défi : il est né sans main gauche !