Peut-on réellement conduire lorsqu'on est en situation de handicap moteur ? Est-ce vraiment raisonnable ? Est-ce tout simplement possible ? Ils étaient une centaine (associations, assureurs, représentants de la délégation à la Sécurité routière, professionnels de la conduite et du secteur médico-social ou usagers) à venir débattre de cette question le 15 septembre 2011, à Paris, à l'invitation de l'assureur Macif-Egalis et du CEREMH (Centre de ressources et d'innovation mobilité handicap). Cette conférence a permis de faire tomber les idées reçues et de passer en revue toutes les étapes du parcours du conducteur en situation de handicap, du passage du permis à l'acquisition d'un véhicule aménagé, mais également d'aborder les évolutions réglementaires.
Qui mieux que « auto » rime avec « mobilité » ? Qui plus que « conduite » est synonyme d'« autonomie » ? Ce propos revient dans toutes les bouches : conduire son propre véhicule, c'est un gage de liberté ! A l'heure où les carences des transports en commun limitent grandement les déplacements des personnes à mobilité réduite, être en mesure de conduire son propre véhicule devient un sésame indispensable pour accéder à une vie sociale, aux études, à un emploi ou aux loisirs.
150 € de l'heure : inadmissible !
C'est Jean-Luc Nevache, délégué interministériel à la sécurité routière, qui ouvre cette conférence avec un constat inattendu, comme un serpent qui se mordrait la queue : « La baisse moyenne de la vitesse a permis d'épargner de nombreuses vies mais le nombre de personnes en situation de handicap avec des séquelles lourdes est encore trop important. Il équivaut au nombre de tués, soit un peu moins de 4 000 personnes en 2010 en France. » L'automobile à la fois bourreau et sauveur ! Sauveur car l'accès à la conduite apparait comme un élément majeur d'insertion. Mais il va sans dire que ce parcours est semé d'embuches, à la fois financières, médicales et administratives, ce qui explique le faible taux de conducteurs handicapés. Dans l'assistance, une intervenante explique qu'une auto-école lui a proposé un devis à 150 euros de l'heure (contre 50 euros en principe) ! De l'avis de tous : « Inadmissible ! ». Même si la PCH (Prestation de compensation du handicap) délivrée par les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées) peut prendre en charge certains surcoûts (plafonné à 1 800 euros dans le cadre de dépenses exceptionnelles), pas question de faire supporter à l'élève les aménagements du véhicule école ! Puisque des centres privés ne sont pas mesure d'amortir de tels équipements, le CEREMH oriente la jeune femme vers des « auto-écoles sociales »
Des conducteurs atypiques
Pourtant certains ont réussi ce pari, en dépit des idées reçues, par exemple la dangerosité supposée des conducteurs handicapés. Or il s'avère, selon la Sécurité routière, qu'ils ne sont pas plus accidentogènes que les autres. La Macif, qui accueille cette conférence en son siège, précise d'ailleurs qu'elle n'applique aucun surcoût dans les contrats proposés aux conducteurs handicapés. A partir du moment où le véhicule est adapté et homologué, elle part du principe que toutes les garanties de sécurité sont respectées. Quelques témoins, avec des handicaps moteurs lourds qu'on pourrait imaginer rédhibitoires, racontent leur expérience. Pascale, paraplégique, Tanguy atteint d'une maladie neuromusculaire... Stéphane, aussi, IMC, qui explique avec humour que le plus dur pour lui a été d'ouvrir la porte de l'auto-école ! Et Maurice, paraplégique qui déclare : « Si on m'enlève ma voiture, je suis mort ! La mobilité, c'est ma priorité. »
« Au volant, le monde m'appartient ! »
Dans la salle, Jean-Marie Barbier, président de l'APF (Association des paralysés de France), coorganisatrice de cette journée, prend à son tour le micro. 40 000 km par an au compteur ! « Pas seulement pour acheter du pain ! La liberté de se déplacer, c'est un enjeu primordial pour tout citoyen et un véritable outil de compensation pour nous. Au volant, le monde m'appartient ! » Et pourtant, la route n'est pas encore déblayée. En tant que président, il rappelle le principe de gratuité de la visite médicale obligatoire, et s'indigne d'être trop souvent saisi par les usagers sur le non respect de ce droit. En tant qu'usager, il déplore les lacunes dans l'aménagement des infrastructures routières : les bornes d'urgence placées derrières les barrières de sécurité, la pénurie de personnel dans les stations service et parfois le manque de compréhension des forces de police. « Je connais plusieurs conducteurs IMC (Infirme moteur cérébral) qui, du fait de leurs problèmes moteurs et d'élocution, ont été embarqués au poste parce qu'on pensait qu'ils étaient saouls ! » Au delà de l'aspect technique de l'accès à la conduite, c'est donc tout l'univers du conducteur qui doit être repensée et améliorée.
Résolutions gouvernementales
Trois heures de débat n'ont certainement pas suffit à aborder toutes les questions, à combler les « trous » de la loi handicap de 2005 qui, malgré ses grandes résolutions, n'aborde jamais la question du transport individuel. Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat à la solidarité et à la cohésion sociale rappelle pourtant que l'automobilité est un pilier majeur du droit à l'autonomie.
Quant à Jean-Luc Nevache, il définit quelques pistes prioritaires :
- Développer l'information auprès des personnes handicapées et des professionnels de la conduite, notamment à travers le dépliant édité par la Sécurité routière « Conduite pour tous : comment conduire malgré un handicap »
-Former davantage les médecins des commissions médicales préfectorales aux spécificités du handicap
- Industrialiser les aménagements spécifiques pour diminuer leurs coûts
- Orienter les travailleurs vers les aides financières proposées par l'Agefiph et le Fiphfp (ces deux organismes peuvent également intervenir dans le cadre de la recherche d'emploi).
Conduire : un luxe !
La conférence s'est achevée sur une promesse : contribuer à la mise en place d'un réseau national pour l'évaluation et la formation à la conduite des personnes en situation de handicap, et harmoniser et simplifier au niveau national les démarches pour l'homologation des véhicules.
« La conduite pour les personnes handicapées n'est pas luxe, clame Jean-Marie Barbier. » Mais comment s'en convaincre lorsque Tanguy annonce le prix son véhicule aménagé : 85 000 euros !
Plus d'infos:
http://www.ceremh.org
Dépliant « Conduite pour tous : comment conduire malgré un handicap » : www.securite-routiere.gouv.fr/IMG/pdf/090819-Dep_MOBILITE-V14-1_cle2f5d43-1.pdf
Conférence " Auto et Handicap " : mobilité, luxe suprême !
Conduite et handicap, un mariage insolite ? Ils étaient une centaine à venir débattre de ce sujet le 15 septembre 2011, à Paris, à l'initiative de la Macif et du CEREMH, lors d'une conférence " Automobile et handicap ". Une affaire qui roule..