Libertins ! Voilà ce qu'ose dire Jean-Baptiste, moniteur en ESAT, de ses travailleurs. En tant que responsable de la menuiserie, il doit gérer à la fois leurs compétences professionnelles et leurs déboires sentimentaux et sexuels ! A l'heure où le débat sur l'assistanat sexuel fait rage autour de ceux qui sont empêchés dans leur sexualité, d'autres s'en donnent à cœur joie, de manière active et parfois débridée.
Non, les personnes handicapées ne sont pas des anges asexués ! C'est pourtant ce qu'on a essayé de leur faire croire, de nous faire croire depuis toujours. Jusqu'à ce Pascal Duquenne s'adonne à une scène d'amour dans le « Huitième jour » ! Trisomique et romantique, ça peut en effet rimer ! Mais tout n'est pas toujours aussi rose derrière les murs des ateliers protégés et autres établissements, et avoir une ébauche de vie affective, c'est parfois le parcours du combattant.
Enfin un groupe de parole dédié !
« Nos travailleurs ont une vie sentimentale très dense, insiste Jean-Baptiste. Nous avons tenté l'intégration d'une jeune femme dans notre atelier mais c'est devenu très compliqué. Elle s'est rapprochée d'un des travailleurs, l'a quitté et a retrouvé quelqu'un au bout d'une semaine. Ils passent de l'un à l'autre très facilement. Nous en avons un, c'est un vrai tombeur ! Ils semblent débarrassés de toute inhibition. Ici, le libertinage est affirmé, et la fidélité est loin d'être un concept acquis... » Un sort enviable, finalement ? Pas vraiment ! Allons plus loin avec Muriel Péquery. Au sein de L'ADAPT Seine-Maritime, elle a mis en place, en 2006, une initiative plutôt innovante, voire révolutionnaire. Avec l'appui du directeur d'un foyer d'hébergement de l'ARRED (une association rouennaise), elle anime en effet un groupe de travail qui rassemble les professionnels de L'ADAPT et aborde les questions de vie sentimentale et de sexualité, dont ils peuvent à leur tour débattre avec leurs usagers lors de groupes de parole. De véritables exutoires où les non-dits et tabous volent enfin en éclat. Pour les uns comme pour les autres... Car les équipes d'encadrement sont, elles aussi, prises au dépourvu par cette problématique. Comment, en effet, tolérer des ébats dans les toilettes collectives ou des caresses insistantes aux vues de tous ? « Ce groupe de travail est donc également très important pour les professionnels, explique Muriel, puisqu'ils peuvent trouver des réponses à des situations qui, il faut bien l'avouer, ne sont pas faciles à aborder. » Un engagement nécessaire, et courageux, car il va sans dire que les détracteurs ont la dent dure : « Lorsque j'ai mis ce principe en place, explique Muriel, on m'a traitée d'obsédée sexuelle. Je travaillais dans un foyer pour déficients intellectuels où le règlement intérieur précisait qu'il était interdit d'avoir un rapport, ou même de s'embrasser ou de se tenir par la main. » Une bombe à retardement...
Les revers du modèle « porno »
Car l'analyse de Muriel est sans appel. « Les jeunes handicapés ne sont ni des anges ni une bêtes, ils ont des besoins et des désirs, comme tout le monde ». Or les institutions dans lesquelles ils vivent, mais également leurs familles, ne leur permettent jamais d'aborder ces questions délicates. Ils ne connaissent pas leur corps, n'ont jamais expérimenté les jeux innocents entre copains-copines et cousins-cousines. Et puis, soudain, à l'adolescence, ils sont en proie à des sensations qu'ils n'ont jamais soupçonnées, et qu'ils doivent continuer à taire. Ils ne sont pas en mesure de maîtriser leurs désirs et passent souvent à l'acte au cours de rapports considérés comme délictuels. « On m'avait demandé de gérer le cas d'un résident qu'on accusait d'attouchements sur un enfant. Il avait fait cela sans aucun vice et sans mesurer la portée de ses actes. Tout simplement parce qu'on n'avait jamais pris la peine de lui expliquer que c'était interdit. » La violence devient, elle aussi, un mode d'expression récurrent car ces jeunes n'ont souvent appréhendé la sexualité qu'à travers le prisme réducteur des films pornos où la femme est un objet, où toutes les humiliations sont permises. Des jeunes femmes qui vivent en couple se plaignent de la façon dont elles sont traitées par leur compagnon, sans ménagement, tout d'abord parce qu'ils n'ont que cette référence du sexe, mais aussi parce qu'ils ont une méconnaissance totale de leur corps. Comment appréhender et respecter son partenaire lorsqu'on ne se connaît pas soi-même ? « Ils n'ont aucun modèle, aucun mode de fonctionnement enseigné alors ils répondent tout simplement à leurs pulsions. C'est pourquoi, il est urgent de libérer la parole mais aussi de travailler avec eux sur leur schéma corporel. »
Parentalité compliquée
Toujours surveillés, un éducateur sur le dos qui guette leurs faits et gestes, et réprime ceux qui peuvent paraître déplacés... Marie, 23 ans, a un petit copain depuis six ans. Fidèle et amoureuse, elle envisage même d'acheter un appartement pour y vivre ensemble. Mais, pour le moment, elle est logée en appartement collectif avec deux autres jeunes femmes. Suivie par le SAVS local, elle peut recevoir son ami en journée mais pas question de passer la nuit avec lui. C'est inscrit dans le règlement ! Et puisque le week-end, elle retourne chez ses parents, c'est un peu compliqué pour l'intimité. Au delà de la sexualité, c'est aussi la question de la parentalité des personnes handicapées qui se profile. Les grossesses surviennent plus souvent qu'on ne le croit, par accident, par caprice, par désir ardent. « Chez les jeunes femmes déficientes intellectuelles, poursuit Muriel, on observe des grossesses à répétition, ce qu'on appelle le désir « d'enfant de remplacement ». Elles tombent enceinte, accouchent en CHU, rencontrent un système qui les juge inaptes, sont dépossédées de leur bébé... Et recommencent ! » L'établissement de L'ADAPT travaille actuellement sur un document d'évaluation à la capacité d'être parent qui permettrait aux éducateurs d'accompagner celles et ceux qui ont ce projet, pourquoi pas légitime, d'enfant.
Partie non négociable de notre humanité
Bref, sexe et handicap livrent un scénario qui semble échapper aux conventions, si tant est qu'il y en ait dans ce domaine... Mais à la faveur d'initiatives, trop rares (?), comme celle proposée par Muriel, les langues commencent à se délier. En février 2011, en partenariat avec l'ARRED, elle organisait un colloque sur ce thème, « Vivre sa sexualité avec un handicap ; comprendre pour accompagner ». Le sujet n'est pas facile mais la prise en compte de cette problématique semble s'amorcer, sous l'impulsion, notamment, des nouvelles générations de parents qui prennent conscience que leurs enfants sont de futurs hommes et femmes avant d'être des « handicapés ». « Et c'est tant mieux, conclut Muriel. J'ai croisé bon nombre de femmes qui ont aujourd'hui 50 ans, qui n'ont jamais eu de petits copains, deviennent acariâtres et jalouses, et tombent amoureuses du premier éducateur qui passe, avec une possessivité souvent déplaisante. » Il faut partir du principe que l'équilibre sexuel est loin d'être une fantaisie, peu importe l'individu. Une vie affective épanouie fait partie des libertés fondamentales, a le mérite de favoriser l'ouverture à l'autre et donc de faciliter l'insertion sociale et professionnelle. Un sésame, en quelque sorte, partie non négociable de notre humanité commune.
Sexualité et handicap : un tabou à faire sauter !
Les personnes handicapées qui vivent en établissements ont-elles droit à une sexualité ? Oui dans le fond mais comment dans la forme ? Un groupe de travail mis en place par L'ADAPT libère la parole des encadrants et des résidents sur un sujet sensi