Dans la classe de CE2 de Martin M., près de Lyon, 28 élèves et, parmi eux, deux relèvent d'un PPS (projet personnalisé de scolarisation) et un d'un PAI (projet d'accueil individualisé). L'un présente des troubles autistiques importants, l'autre est dyspraxique et le dernier souffre d'allergies si extrêmes que le risque vital est permanent. Deux AVS pour accompagner les deux premiers (dont un n'a toujours pas été attribué). La situation est extrêmement délicate et, pour Martin, c'est le stress. Quelques directives, l'accès au dossier et, pour le reste, il lui faut improviser. Il doit même, en cas d'urgence, faire une piqure à son élève allergique. Il a pourtant, depuis quelques années, l'habitude de recevoir des élèves en situation de handicap mais cette année, c'est vraiment compliqué.
Une classe sur le qui-vive
William est, lui aussi, confronté à une situation similaire. Enseignant en CE1, il accueille dans sa classe un élève réputé « caractériel ». Un terme bien imprécis pour définir ce garçon de sept ans qui a déjà séjourné plusieurs fois en hôpitaux psychiatriques. Son intelligence, normale, lui permet de suivre une scolarité mais il est totalement ingérable, interrompt la classe sans cesse, parle fort, crie, se montre parfois violent, au point d'effrayer ses camarades. Difficile de gérer le groupe dans de telles circonstances. Ses parents semblent toujours dans le déni et refusent toute orientation. Le psychologue du Sessad (Service d'éducation spéciale et de soins à domicile) intervient au sein de l'école deux heures par semaine mais, le reste du temps, c'est à l'enseignant se débrouiller avec un PPS qui, sur le papier, ne lui consent de maigres directives. William se sent totalement démuni et toujours sur le qui-vive... « La seule alternative que m'a donné notre inspecteur, c'est d'exclure cet élève une demi-journée lorsque je suis vraiment à bout ! ».
D'immenses responsabilités
Comment gérer une classe entière lorsqu'il faut sans cesse se préoccuper du cas particulier ? Ils sont nombreux, comme nos deux témoins, à partager ce sentiment d'être laissés seuls face à d'immenses responsabilités. Les réunions PPS permettent de faire le point avec l'équipe pédagogique, les intervenants du médico-social et les parents mais qu'en-est-il au quotidien lorsqu'on se retrouve six heures par jour face à sa classe ? D'autant qu'il n'est pas seulement question de problèmes de gestion « matérielle » du handicap ou du comportement ; l'enseignant s'interroge aussi sur les besoins de cet élève, sans toujours connaître la bonne réponse, quitte à se sentir impuissant face à celui qui ne progresse pas.
Pas opposé, juste démuni
Les parents s'appuient aujourd'hui sur la loi de 2005 pour « encourager » l'Education nationale à faire plus et mieux en matière d'inclusion scolaire mais elle ne peut évidemment être un succès sans la collaboration pleine et entière du corps enseignant. Qu'on soupçonne, parfois, de mauvaise volonté ! Or, en 2008, une enquête menée par IPSOS sur les élèves en situation de handicap mental révélait que plus de huit enseignants sur dix se disaient favorables à leur scolarisation mais 87 % enseignant dans le primaire ordinaire et 66 % en classe d'intégration scolaire (CLIS) estimaient ne pas y avoir été préparés. William s'en défend lui aussi : « Jamais je n'ai été opposé à l'accueil des élèves handicapés, j'en ai d'ailleurs suivis plusieurs ces dernières années mais il faut nous donner les moyens et les compétences pour les accueillir correctement. Certes nous avons des AVS mais j'en ai vu passer quelques-uns qui étaient aussi fragiles que les enfants qu'ils accompagnaient. » L'annonce, à la rentrée 2013 de la professionnalisation des 20 000 AVS en poste et le recrutement de 8 000 accompagnants supplémentaires pourrait résoudre, en grande partie, ce problème. Mais William de rebondir : « Quoi qu'il en soit, dans le cas qui me préoccupe, ce n'est pas l'AVS qui va empêcher un élève avec d'importants troubles du comportement de hurler, de mordre et de se battre. » Alors que l'école se montre plus accueillante envers les enfants handicapés, il est craindre que, dans le même temps, les situations difficiles pour les enseignants se multiplient.
Sensibiliser la communauté éducative
C'est pourquoi, L'ADAPT continue d'exiger une meilleure sensibilisation ou formation de l'ensemble de la communauté éducative sur cette question, y compris les ATSEM et le personnel de cantine. Bien sûr, il ne s'agit pas de faire des professeurs d'école des spécialistes et encore moins des médecins. Ils ont juste besoin d'être rassurés et de savoir, le cas échéant, qu'ils ne sont pas seuls face à une situation complexe. Or, pour le moment, il n'existe pas de programme de formations dédié, notamment dans le cadre de leur formation initiale. « On en parle pourtant depuis des années constate Eric Blanchet, directeur de L'ADAPT. Le gouvernement a réaffirmé sa volonté sur cette question. Nous attendons. »
Des guides dédiés
Il existe bien quelques outils de sensibilisation mais trop superficiels et trop rares pour répondre aux cas particuliers. Trois premiers modules de formation à distance sont mis en ligne sur le site d'Eduscol ; ils concernent les troubles des apprentissages, les troubles envahissants du développement ou spectre autistique et les troubles des comportements et des conduites. D'autres doivent être élaborés ultérieurement. A la demande de la direction générale de l'Enseignement scolaire (DGESCO), l'INSHEA (l'Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés) a également produit des guides pratiques. Ils portent sur différentes thématiques : accueil des élèves sourds ou malentendants, autistes ou présentant des troubles envahissants du développement, avec une déficience visuelle ou motrice.
Des formations « réactives »
Sur le terrain, certaines inspections académiques mettent en place ponctuellement des formations dédiées, dites « réactives », pour venir en aide aux maîtres qui se retrouvent seuls face à une situation inattendue ou épineuse. A leur initiative, des directeurs d'établissements prennent également les devants en sollicitant des associations locales qui viennent, à la demande, apporter aux enseignants un premier niveau de connaissance. Les équipes pédagogiques qui ont la chance de collaborer avec des Sessad peuvent également être épaulées par les professionnels du secteur médico-social qui dispensent des soins à l'enfant au sein même de son école. Ce partenariat est une piste prometteuse qui doit être explorée à plus grande échelle.
Tout est question de dosage
« Quoi qu'il en soit, conclut Eric Blanchet, les équipes éducatives doivent pouvoir avoir des recours s'ils jugent qu'une inclusion est vraiment problématique. C'est typique dans le cas de Martin. Comment un enseignant peut-il prendre en charge trente gamins dont trois handicapés ou malades sans avoir un réel facteur de risque ? Pour que les choses se passent dans les meilleures conditions, tout est question de dosage. Il ne faut pas non plus mettre la classe en danger. Il en va de la responsabilité de toutes les personnes impliquées dans le processus d'orientation. »