Par Shingo ITO
Devant lui, une grille alphabétique en forme de clavier sur laquelle il forme mots, paragraphes, égrenant lentement ses pensées. « Je ne peux pas bien exprimer mes sentiments parce que je suis autiste, mais je parviens à communiquer par ce biais », explique Naoki Higashida, un jeune Japonais atteint d'autisme sévère, à l'AFP dans son bureau de Kisarazu, au sud-est de Tokyo.
Ses mémoires à 13 ans
« Les mots ne sont pas juste un moyen de communiquer, ce sont mes amis », ajoute le jeune homme de 22 ans, dont le trouble a été diagnostiqué quand il avait cinq ans. C'est grâce à de longues heures de pratique avec un professeur tenace et sa mère que Naoki a pu commencer à interagir avec les autres, dès l'école primaire. Il compose des poèmes et rédige des nouvelles avant de livrer, à l'âge de 13 ans, ses mémoires, Sais-tu pourquoi je saute, racontant pour la première fois l'autisme de l'intérieur. Il y aborde 58 questions du type : Pourquoi les autistes parlent-ils si fort et si bizarrement ?, Pourquoi fuis-tu le contact visuel ?, Est-il vrai que tu détestes qu'on te touche ?
Pour les parents du monde entier…
Ce « fut pour nous une révélation quasi divine », confie le romancier britannique David Mitchell, lui-même père d'un garçon autiste, qui a découvert ce livre via son épouse japonaise. « Nous avons lu un chapitre et pensé : "Oh mon Dieu, c'est comme si notre fils nous parlait″ ou "c'est exactement ce que notre fils fait″», raconte l'auteur de la fresque à succès Cartographie des nuages dans un message adressé à l'AFP depuis sa résidence irlandaise. Il décide alors, en 2013, de traduire l'ouvrage en anglais pour faire partager aux parents du monde entier cette lecture, dans l'espoir que, comme dans son cas, elle leur permette de mieux comprendre leur enfant handicapé, et de « franchir un cap dans leur relation ». « Avant Naoki, j'ai honte de dire que je considérais et traitais mon fils comme une sorte de robot défectueux », avoue M. Mitchell. « Après, j'ai commencé à me dire que ce n'était pas mon fils qui avait un problème, mais qu'il s'agissait seulement d'une incapacité à communiquer ce qui se passait dans son esprit riche, joueur et emprisonné ».
Une claque aux idées reçues sur l'autisme
« Naoki n'est ni un gourou ni un saint, mais il en sait long sur la vie dans un cerveau d'autiste », balayant avec humour et franchise les clichés répandus sur ce handicap. On apprend ainsi que les autistes « aiment beaucoup la compagnie des gens », mais ne veulent pas leur « causer des problèmes », les « gêner ». « Voilà pourquoi on a tendance à fuir ». « Les sons étranges qui sortent de ma bouche m'ont souvent fait mourir de honte », confesse le jeune homme qui juge « vraiment insupportable (...) la pensée que notre vie est un boulet pour les autres ». C'est pour cela qu'il aime tant faire des bonds : « c'est comme si j'envoyais mes sentiments vers le ciel », « c'est un peu ma façon de secouer ce qui me ligote ».
Publié dans 20 pays
Depuis, le livre de Naoki Higashida a été traduit en douze langues et publié dans 20 pays. Lui a poursuivi son petit bonhomme de chemin : il a signé 18 ouvrages, de contes de fées en histoires vraies, anime un blog quasi quotidiennement et écrit régulièrement dans l'édition japonaise du magazine The big issue vendu par les sans-abris. Toshiro Sugiyama, un psychiatre qui travaille sur ce trouble envahissant du développement, salue son talent. « Il est capable de parler au nom des autres autistes », analyse-t-il. « Son travail offre à la société en général une fenêtre sur l'autisme ». L'autisme toucherait environ un nouveau-né sur une centaine, selon les experts. Ses causes exactes restent mystérieuses, les études mettant en exergue des facteurs à la fois génétiques et environnementaux.
Au japon : un handicap mal connu
Au Japon, c'est un handicap encore mal connu, « comparé aux États-Unis ou à la Grande-Bretagne », déplore Kosuke Yamazaki, président de l'organisation Autism Society Japan. La mère de Naoki, Miki Higashida, en a longtemps souffert. « Quand il était enfant, je luttais constamment, je voulais le forcer à être normal », se souvient-elle. « Mais j'ai arrêté de le comparer aux autres. Je suis heureuse qu'il ait trouvé son propre monde » dans l'écriture. « J'espère qu'il continuera à écrire et à retranscrire son expérience du monde, ses pensées et son voyage dans la vie en mots », souffle David Mitchell.