Pour 2,3 millions déjà équipées, un million de personnes seraient en attente d'une aide auditive. Pour la moitié d'entre elles, ces dispositifs s'avèrent encore trop chers, impossible de mettre entre 500 et 1 000 euros de leur poche. Mais une promesse de campagne d'Emmanuel Macron pourrait bien, d'ici quelques jours, changer la donne. Après le 100 % optique et dentaire en 2020, le « 100 % audiologie » va permettre à tous les Français atteints de troubles de l'audition d'avoir accès à des solutions sans reste à charge à partir du 1er janvier 2021. Une réforme « historique » pour « réduire les risques liés à la mal-audition : isolement social, perte d'emploi, perte d'autonomie pour les plus âgés… », se réjouit le Syndicat des audioprothésistes (SDA) qui milite depuis 2013 sur cette question.
En pratique, deux classes
Cette nouvelle réforme prévoit une grille de remboursement comportant deux classes d'aides auditives :
• La classe 1 est un produit sans reste à charge, « de bonne qualité » selon le SDA, qui concerne tous les types d'aides auditives (contour d'oreille classique, à écouteur déporté et intra-auriculaires), avec douze canaux de réglage et trois options minimum au choix (sans fil, bande passante élargie, anti-acouphènes…). Pour un prix de vente maximum de 950 euros, l'Assurance maladie rembourse 240 euros et les mutuelles se sont engagées à verser 710 euros. Avec ces modèles, les patients n'auront donc plus à débourser un seul centime. Les audioprothésistes ont « l'obligation » de proposer cette classe dans leur devis, et même de réaliser a minima 20 % de leurs ventes -un contrôle est prévu par le Ministère de la Santé-. Le syndicat indique qu'on peut dénoncer auprès de la DGCCRF (répression des fraudes) les mauvaises pratiques d'audioprothésistes qui seraient tentés de « forcer » à aller vers des solutions plus coûteuses certains publics jugés « vulnérables », mentionnant que 53 % des patients équipés ont plus de 75 ans.
• La classe 2 propose des produits plus sophistiqués, avec des options techniques supplémentaires (connectivité, ergonomie…) pouvant, par exemple, faciliter la vie au travail ou améliorer la réhabilitation de certaines pathologies. Leur prix est libre, avec une moyenne de 1 500 euros. Le remboursement de l'Assurance maladie demeure identique à la classe 1 (240 euros) mais c'est cette fois-ci le montant de la prise en charge par les mutuelles qui peut varier de 160 à 1 460 euros. Le reste à charge est alors variable puisqu'il dépend de chaque mutuelle et du type de contrats.
Les jeunes de moins de 20 ans bénéficient d'un régime de faveur avec un remboursement de 840 euros par l'Assurance maladie, identique pour les classes 1 et 2, auquel s'ajoute une prise en charge par les mutuelles de 560 euros pour la classe 1 et de 560 à 860 pour la classe 2. Selon le SDA, ce public ne représente que 3 % des patients.
Basta la pub !
Même s'il voit dans cette mesure une « révolution », le SDA alerte néanmoins sur « deux risques majeurs qui pourraient compromettre son succès ». En premier lieu, il plaide pour la fin des publicités « trompeuses et mercantiles, induisant une consommation non médicalement justifiée et assimilant les aides auditives à de simples biens de consommation ». Il n'existe, par exemple, aucune justification médicale à posséder une deuxième paire d'aides auditives ou encore à offrir un smartphone pour palier un trouble auditif. Ces dérives sont dénoncées depuis longtemps par les associations de patients, comme par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) qui, dès 2013, recommandait la régulation de la publicité dans ce secteur : « La publicité n'améliore pas l'information des usagers ou des financeurs et renchérit le coût des prothèses. (…) Les personnes notamment âgées, se voient proposer (…) des aides techniques absurdes (…) des prothèses 'invisibles', mais non adaptées à l'évolution de leur surdité ». Pour Luis Godinho, président du SDA, ce 100 % santé induit un effort financier substantiel et il ne faudrait pas qu'il soit détourné par des campagnes de pub contre-productives ».
Des mutuelles qui ne jouent pas le jeu
Deuxième point de vigilance, la politique de certaines complémentaires santé ne vont pas permettre de préserver le libre choix des patients. En abaissant de manière significative le niveau de remboursement des audioprothèses de classe 2, elles augmentent le reste à charge pour le patient qui souhaite avoir accès à une solution adaptée à ses besoins. « Les personnes les plus modestes devront se contenter du 100 % santé or, pour certaines, notamment dans le cadre professionnel, une aide plus sophistiquée est loin d'être un luxe », déplore Luis Godinho. Et de citer un proviseur de collège qui a besoin d'une aide classe 2 pour suivre les conversations dans des salles au son réverbérant ou un plombier qui nécessite une connectivité spécifique pour communiquer avec ses clients. « Ces mutuelles mettent à mal cette réforme alors qu'une aide auditive est un outil préventif qui permet de maintenir des personnes en emploi », poursuit-il. Selon lui, misant sur les effets bénéfiques d'une prise en charge précoce, pour un euro investi aujourd'hui, dix seront économisés à terme en général (santé, travail, moral…).
Situation incompréhensible
Les études le montrent, l'usager qui ne peut choisir son équipement s'implique beaucoup moins pour l'optimiser et l'utiliser au quotidien, avec des abandons plus nombreux à la clé. « Cet échec d'appareillage est très connu en Grande-Bretagne, qui a décidé de faire marche-arrière », souligne Luis Godinho. L'Assurance maladie a, semble-t-il, saisi cet enjeu, puisqu'elle a décidé de rembourser les deux classes à l'identique. Mais pas les mutuelles ? A titre d'exemple, l'une d'elles qui se dit « mutualiste » propose des remboursements de 160 à 760 euros pour la classe 2, soit un montant maximal presque identique à la classe 1 (710 euros) pour les assurés qui ont pris la peine d'investir dans ses contrats les plus onéreux. La situation est d'autant plus incompréhensible que certains patients vont être contraints d'opter pour des produits de classe 1, mieux remboursés, augmentant ainsi les dépenses des mutuelles. Allez comprendre ! Certaines ont néanmoins fait le choix d'aligner la prise en charge, comme Uneo, la mutuelle des forces armées, un secteur où la prévalence de problèmes auditifs est importante.
Respecter l'accord !
Rappelons que l'accord signé en 2018 entre la Ministre de la santé, les professionnels et les complémentaires santé indiquait que le « 100 % santé » était composé « d'équipements de qualité qui permettent de répondre aux besoins essentiels des Français, tout en préservant leur liberté de choix ». Le SDA appelle donc les assurances santé à respecter leurs engagements en garantissant un remboursement minimal équivalent, quel que soit le dispositif choisi par l'usager. Le gouvernement doit faire le bilan de cette réforme fin 2021 « mais si ça ne marche pas, il sera un peu tard pour corriger le tir », redoute Luis Godinho qui considère pourtant que la France pourrait avoir aujourd'hui le meilleur système au monde car elle a tenu compte des difficultés rencontrées ailleurs, notamment au Danemark et en Allemagne. « Ce n'est que le début », conclut le SDA qui espère, en passant, « voir les audioprothésistes reprendre leur place parmi les professionnels de santé ».