Par Agathe Devitry et Antoine Pollez
Dans cet établissement qui accueille 320 écoliers répartis dans 18 classes, dix élèves présentent un handicap reconnu par la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées) : six enfants doivent bénéficier de l'accompagnement individuel d'une AESH pendant tous les enseignements, et quatre autres d'un accompagnement pour des périodes de temps plus ou moins importantes, avec des AESH mutualisés. L'école dispose de cinq AESH, un effectif que plusieurs enseignants interrogés par l'AFP jugent "très insuffisant" pour faire cours tout en répondant aux besoins spécifiques des élèves handicapés.
Dépôt d'une "alerte sociale"
Et encore, l'établissement n'avait obtenu que 3,5 postes d'AESH à la rentrée. Il a fallu toute la mobilisation de l'équipe pédagogique, la vigilance d'une inspectrice et le dépôt d'une "alerte sociale" pour obtenir quelques renforts. "Ce déficit d'accompagnants nous oblige à faire des arrangements en interne. Un enfant qu'on arrive plus ou moins à gérer, on lui enlève son AESH quelques heures pour l'attribuer à un autre, qui a un handicap plus compliqué", explique une enseignante qui, comme tous ses collègues, demande à rester anonyme. "On déshabille Paul pour habiller Pierre. C'est interdit mais on n'a pas le choix, sinon on n'arrive pas à faire classe."
Gérer les cas difficiles
Autisme, trisomie 21 ou maladies dégénératives : confrontés à ces handicaps, les professeurs évoquent tous des situations où, en l'absence d'AESH, ils ont été contraints de mettre un terme à une activité pour prendre en charge un élève. "J'ai un élève qui a beaucoup de mal à gérer sa frustration", raconte une institutrice de grande section. "Pour un simple 'non', il se met dans des colères pas possibles, il pleure, il hurle, il arrache des choses avec ses mains. Dans ces moments-là, je ne peux plus enseigner, on ne s'entend plus parler."
"Les autres enfants en pâtissent"
"Il faut bien comprendre que ce sont des élèves de maternelle, abonde sa collègue. Ils ne sont pas autonomes, je ne peux pas me permettre de leur dire 'prenez un puzzle pendant que je gère la crise', ça ne marchera pas." Ces incidents perturbent les apprentissages et ralentissent les acquisitions, selon les témoignages unanimes des enseignants interrogés. "Ce sont les enfants qui subissent les conséquences en premier lieu. Les élèves qui devraient avoir une AESH et qui n'en ont pas ne progressent pas comme ils le devraient. Nous, ça nous accapare, on ne peut pas se dédoubler. Les autres enfants en pâtissent aussi, et au final, ça pèse sur toute la classe."
Manque de moyens
Ces professionnels de l'éducation ne remettent pas en cause les lois de 2005 et 2013 qui prévoient le droit à la scolarisation pour tous les enfants et une école "inclusive", mais déplorent le manque de moyens. "C'est de la poudre aux yeux. Combien d'enfants reçoivent une notification de la MDPH, mais passent ensuite toute l'année scolaire sans accompagnement ?", s'agace une professeure. Et la pénurie ne se limite pas à quelques établissements : en France, 430 000 enfants en situation de handicap sont scolarisés en milieu ordinaire, dont 288 000 doivent bénéficier d'un accompagnement, pour seulement 125 000 AESH, selon un rapport sénatorial publié en mai.
AESH : peu de candidats
Face aux besoins, le ministère de l'Education nationale prévoit 6 500 recrutements sur l'année scolaire 2023-2024 mais peine à attirer les candidats. "C'est un travail dur, physique, avec une forte charge mentale. Parfois je rentre à 18h et je dors", témoigne auprès de l'AFP une AESH de l'école Camille Claus. "Et le niveau du salaire... il y a des fois où je me dis que je vais arrêter." Le salaire d'entrée dans la profession a été revalorisé durant l'été à 896 euros mensuel net pour 24 heures de travail par semaine. "Mais m'occuper d'enfants qui ont des besoins particuliers me plaît", poursuit cette AESH. "On a le soutien de toute l'équipe, on est vraiment considéré par les collègues. Heureusement, sinon on n'y arriverait pas."