« 'Tous mobilisés, tous concernés', ce ne sont pas que des mots ! » « Faire comprendre aux Français que le handicap est l'affaire de tous », tel est l'enjeu de la Conférence nationale du handicap (CNH) 2018-2019. Le ton est donné... Sophie Cluzel attend beaucoup de ce dernier comité de pilotage. Le 3 décembre 2018, la secrétaire d'Etat en charge du Handicap a confié trois missions à 35 acteurs de la société civile et membres du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) : la mise en valeur de projets innovants visant à « simplifier la vie des personnes handicapées », la labellisation de pratiques exemplaires et la mise en œuvre de grands chantiers nationaux. Sept mois plus tard, les ministres ont effectué plus d'une dizaine de déplacements en région et 460 actions citoyennes ont été labellisées ; « le compteur s'arrêtera à 500 », précise Céline Poulet, secrétaire générale du Comité interministériel du handicap (CIH). Mais le 10 juillet 2019, ce que tout le monde attend, c'est la remise des rapports sur les cinq grands chantiers. 800 personnes mobilisées, des dizaines de réunion... Le fruit d'un « travail colossal ».
Clarifier la compensation du handicap de l'enfant
Les premiers à se lancer dans l'arène ? Daniel Lenoir, inspecteur général des affaires sociales, et Hervé Droal, administrateur civil, avaient la lourde tâche d'améliorer et de simplifier la compensation du handicap de l'enfant. En clair, clarifier l'articulation entre l'Allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) et la Prestation de compensation du handicap (PCH). Partis du constat que le droit d'option entre ces deux prestations est « complexe, mal compris et source d'inéquité de traitement », ils affirment avoir dû « détricoter pour retricoter ces prestations ». Ce travail minutieux a abouti à une réforme structurelle pour substituer aux compléments de l'AEEH : une nouvelle allocation de présence parentale, une ouverture des éléments de la PCH aux enfants et une prise en charge de tous les frais relevant du soin par l'Assurance maladie. Deuxième proposition, la création de 12 mesures « d'effets rapides » : inscrire les enfants en affection longue durée pour faciliter l'accès aux soins et proposer l'allocation journalière de présence parentale aux parents, aligner la fiscalité entre l'AEEH, ses compléments et la PCH...
Refonte de la PCH
Deuxième chantier : rénover la PCH. Quelques chiffres pour situer le contexte : 280 000 personnes bénéficient de cette prestation, soit une dépense de 1,9 millliard d'euros et l'aide humaine représente 91,5 % des dépenses. Pour améliorer l'accès à cette prestation, les rapporteurs proposent notamment de simplifier la demande d'aide ménagère départementale, d'intégrer dans la PCH du temps de préparation aux repas et la vaisselle et de mettre en place un groupe de travail pour une PCH adaptée aux personnes avec un handicap psychique, cognitif, mental ou neuro-développemental. Pour ne plus perdre de temps, Sophie Cluzel propose que ce groupe « se mette au travail dès maintenant ». « Je nommerai bientôt une personnalité connue de tous avec un binôme auto-représentant », précise-t-elle. Autre annonce tonitruante : la mise en place d'une mission nationale sur les aides techniques et numériques (déambulateurs, fauteuils roulant, poussettes pédiatriques...).
Revoir le fonctionnement des MDPH
Le troisième binôme est attendu au tournant... Faire évoluer les missions des Maisons départementales des personnes handicapées et optimiser leur fonctionnement, « c'est ma priorité », déclare Sophie Cluzel. « Les MDPH sont le point de contact névralgique de toutes les personnes handicapées et de leurs familles, leurs attentes sont immenses », poursuit-elle. En 2017, 4,5 millions de demandes leur ont été adressées. Le hic, c'est que les délais moyens d'attribution sont de plus de 5 mois et varient de 1 à 4 mois selon les Maisons. « C'est insensé, estime la secrétaire d'Etat. L'impatience est très forte et plus que légitime. » Pour remédier à cette inégalité territoriale, le groupe de travail a formulé 37 propositions, à commencer par une procédure accélérée de renouvellement des droits et une ouverture automatique de ces derniers, un plan pour accompagner les professionnels, un pilotage renforcé des MDPH pour garantir des délais et des services homogènes sur tous les territoires. « Il s'agit de revenir au cœur de métier des MDPH : le conseil et l'accompagnement des personnes dans l'accès à leurs droits », annonce les rapporteurs. Sophie Cluzel annonce également le « travail en cours d'une mission nationale de contrôle et d'appui ». « Nous avons permis des droits à vie (article en lien ci-dessous) alors mettons-les en œuvre immédiatement, s'impatiente-t-elle. Je souhaite qu'un plan d'action soit mis en place à la rentrée, pour que cet accompagnement soit effectif et je demanderai à la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) d'y travailler. »
Limiter les départs vers la Belgique
Autre sujet épineux : la prévention des départs « non souhaités » en Belgique. En 2017, 7 600 Français ont opté pour cette solution, faute de mieux. Un chiffre en constante augmentation... Les raisons sont multiples : « manque de place en France, refus ou échecs de prise en charge ou encore épuisement des aidants ». Leur profil ? Ils sont majoritairement déficients intellectuels, accueillis dans des foyers de vie et originaires des Hauts-de-France et de l'Ile-de-France. Pourtant, Edith Christophe, de l'ARS Grand-Est, pointe les conditions de prise en charge « limites » de plusieurs établissements wallons. « Certains gestionnaires s'intéressent plus à l'aspect lucratif qu'à la qualité de l'accompagnement », aurait constaté la co-rapporteuse. Pour changer la donne, elle juge bon de définir le nombre d'établissements wallons et de places pouvant accueillir des adultes français, de reverser aux trois agences régionales de santé (ARS) principalement concernées par ces départs les crédits correspondant aux « départs évités » sur trois ans afin de développer des réponses de proximité en France, de poursuivre activement le développement de solutions alternatives dans l'Hexagone et d'étendre les initiatives pour faciliter les retours. Deux représentantes d'associations tiennent à alerter sur le manque cruel de solutions à disposition des personnes polyhandicapées ou en situation de handicap psychique, en France.
Pleine représentation des personnes handicapées
« Last but not least* », introduit Céline Poulet, le cinquième groupe devait trouver des solutions pour assurer la participation des personnes en situation de handicap à la construction des politiques publiques. Principaux constats : une participation institutionnelle des personnes handicapées articulée autour du CNCPH, une représentation encore assez limitée aux acteurs historiques comme « les grosses associations », des moyens humains et techniques insuffisants... A ce titre, il propose de rebaptiser le CNCPH et de lui donner une nouvelle dimension. « Le Haut conseil aux citoyens handicapés offrira une meilleure représentation et partagera une ambition et une vision commune avant de l'irriguer auprès des autres acteurs », estime Thierry Michels, député du Bas-Rhin. Autres suggestions : une gouvernance simplifiée pour plus d'efficacité et une transparence dans les critères de désignation au sein des différents collèges. D'autre part, « nous avons préconisé l'accessibilité universelle pour tous les documents et notamment en facile à lire et à comprendre (FALC) », ajoute Carine Radian, membre du CNCPH. Outre les textes, « il faudrait que les intervenants fassent attention à la manière dont ils s'expriment parce que parfois, lors d'échanges au CNCPH, c'est trop technique et on ne comprend pas grand-chose », intervient Lahcen Er Rajaoui, président de Nous aussi, association des personnes handicapées intellectuelles. « Moi aussi j'avais beaucoup de mal à suivre au début, il y a en effet un gros effort de pédagogie à faire à ce sujet », concède la co-rapporteuse.
CNH reconduite à l'automne
Et à Sophie Cluzel de conclure : « Je vais essayer de m'exprimer le plus simplement possible pour que tout le monde comprenne ». D'ailleurs, « mon fil rouge est la simplification massive car la politique handicap est la plus complexe de toutes les politiques publiques. Si l'on veut renforcer le pouvoir d'agir des personnes, nous devons avancer, simplifier et comprendre mieux les besoins. » Selon elle, tous les rapports seront rendus publics et disponibles en ligne, sous quinzaine. Les propositions retenues seront ensuite transmises au Parlement et feront l'objet d'un débat devant l'Assemblée. La CNH, phase finale de ces travaux, initialement prévue en mai 2019, est reconduite à l'automne, en présence d'Emmanuel Macron. Aucune date précise n'est fixée pour le moment... « Je proposerai de la rebaptiser en 'forum' au sens latin du terme, c'est-à-dire un espace public au sein duquel les personnes discutaient, dans une démarche d'ouverture et de dynamique citoyenne », précise-t-elle. Un dernier mot ? « Tous concernés, tous mobilisés et tout simplement tous engagés ». La boucle est bouclée.
* Le dernier chantier mais pas des moindre