635 000 personnes handicapées vieillissantes en France, selon la Drees*. Quels enjeux et quelles solutions pour améliorer la santé de ceux qui cumulent deux facteurs de perte d'autonomie ? Ces questions étaient au cœur de la plénière organisée le 27 septembre 2022 par l'association CoActis Santé, qui œuvre pour l'accès aux soins pour tous (replay en vidéo ci-contre). Objectif : mettre en lumière ce sujet « méconnu et insuffisamment traité » qui apparaît aujourd'hui comme une « problématique sociale, médicale et politique ».
Une définition « impossible »
Tout d'abord, qu'entend-on par « personne handicapée vieillissante » ? « La définition, aujourd'hui, personne ne l'a trouvée », répond Clarisse Ménager, directrice générale de la fondation Anne de Gaulle, pour qui cela « démontre la richesse du sujet au-delà du fait qu'il est inabouti ». Pourquoi ? Notamment parce qu'il y a « autant de personnes handicapées vieillissantes qu'il y a de parcours de vie », estime celle qui préfère parler d'« avancée en âge ». « On est tous en situation de vieillissement, il n'y a pas de raison de penser que la fonte musculaire épargne les personnes en situation de handicap », souligne Claude Jeandel, président du Conseil national professionnel de gériatrie. Elles peuvent toutefois être plus fragilisées du fait d'une éventuelle accumulation des troubles. En effet, « l'avancée en âge se traduit souvent par une accentuation du handicap d'origine et la survenue d'autres handicaps », complète Patrick Gohet, président de la Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap (Firah), auteur du rapport de 2013 sur l'avancée en âge des personnes handicapées. « Certains ayant contracté le virus de la polio arrivent à marcher une bonne partie de leur vie mais, après 55 ans, la capacité musculaire diminue, et on sent que ça bascule, éclaire Philippe Denormandie, neurochirurgien et co-président de l'association CoActis Santé. Ceux qui s'estimaient 'non handicapés' jusque-là changent alors de point de vue. »
Prévenir la perte d'autonomie !
Plutôt que de chercher à les définir, la bonne approche, selon Clarisse Ménager, est, « de questionner et soutenir l'expression des personnes, sur leur ressenti, sur la nécessité d'adapter ou pas, d'orienter leur projet de vie ». Elle exhorte notamment les professionnels de santé à opter pour « une approche fonctionnelle qui favorise une prise en charge personnalisée » afin de mieux appréhender l'impact de l'avancée en âge sur les fonctions motrices, psychiques, sensorielles, sociales. Pour prévenir cette perte d'autonomie, les intervenants sont unanimes : « Mieux vaut prévenir que guérir ! », rappelant qu'il est capital que les personnes en situation de handicap bénéficient, elles aussi, de ces approches préventives. « Le vieillissement n'est pas une maladie, ni pour les 'valides' ni pour les personnes handicapées ! », interpelle Claude Jeandel, prohibant toute vision fataliste. « Il ne faut plus accepter l'idée que lorsqu'une personne handicapée vieillit et que ses fonctions s'aggravent, c'est dû à l'évolution naturelle de son handicap », insiste Philippe Denormandie.
Un sujet prioritaire
Toutefois, le vieillissement peut survenir précocement chez certaines d'entre elles, en cas de handicap intellectuel notamment. Pour Patrick Gohet, il est donc « fondamental que la politique des institutions de travail ou d'hébergement en tienne compte ». « Mais toutes les personnes en situation de handicap ne sont pas accueillies dans un établissement spécialisé. Il faut aussi apporter des réponses en termes d'accompagnement adapté à celles qui continuent à vivre chez elles. C'est donc l'ensemble de la cité qui doit inscrire ce sujet dans ses priorités », poursuit-il, appelant à la construction « d'une politique globale qui puisse être déclinée sur tout le territoire de manière égale, en prenant notamment en compte des approches culturelles de la question du vieillissement ». « Il faut également réintégrer dans la politique du handicap, de manière claire et précise, les handicaps les plus lourds et les polyhandicaps qui ont été négligés. Ils vieillissent aussi ! », insiste Patrick Gohet, pour qui « c'est une véritable obsession ». D'autre part, en général, plus le handicap survient tardivement, plus l'adaptation est difficile. « Sur un plan fondamental, physiologique, une personne qui acquiert un handicap à un âge précoce peut mettre en place plus de stratégies de compensation », explique Claude Jeandel, évoquant « l'effet de l'âge sur nos capacités de neuroplasticité ».
Une équipe mobile en Ile-de-France
La Fondation Anne de Gaulle, créée en 1945 par le Général de Gaulle et sa femme en soutien à leur fille porteuse de trisomie 21, a mis en place une équipe mobile territoriale, en Ile-de-France, qui vise à appuyer le parcours de vie des personnes handicapées qui avancent en âge avec un « aspect multidimensionnel ». « La santé est évidemment un volet important, mais pas le seul », précise Clarisse Ménager, citant également « le rythme de vie et la vie sociale ». L'objectif ? « Accompagner, de manière pluridisciplinaire, cette période de transition, où les personnes commencent à avoir des pertes plus ou moins conscientes et plus ou moins compensées. » L'enjeu de cette expérimentation est de faire en sorte que l'adaptation du projet de vie et le choix de l'orientation se fasse de « manière autodéterminée » et non « contrainte par l'offre du gestionnaire ».
Cette équipe entend également accompagner les professionnels des établissements spécialisés pour progresser dans les réponses apportées aux besoins de leurs résidents. En parallèle, elle planche sur un projet d'habitat inclusif pour les personnes handicapées vieillissantes afin de leur permettre de « continuer à développer leurs compétences de vie, en autonomie ». La fondation a le pressentiment que, petit à petit, ce projet de mise en réseau des acteurs va essaimer, sorte de laboratoire territorial. « Les associations, les acteurs de droit commun pourront ainsi encourager les projets d'adaptation dans les foyers handicap, les EHPAD, les habitats inclusifs, les accueils familiaux... », espère Clarisse Ménager.
« Faire péter les frontières »
De son côté, Philippe Denormandie invite à « faire péter les frontières ». « La personne trisomique âgée de 50 ans, qui se retrouve plutôt dans la rubrique des 'gens fragiles', va sûrement se voir refuser l'accès à un service de gériatrie. Idem si elle va voir le médecin de rééducation… N'a-t-on pas un problème de fond qui nous questionne, nous professionnels de santé, sur notre capacité à avoir des logiques de coopération ? », interpelle-t-il. Pour Claude Jeandel, il faut donc former les médecins, notamment généralistes, à tous ces enjeux. « Mais ça prend du temps. C'est donc maintenant qu'il faut le prévoir pour demain, et peut-être l'étendre aux autres professions de santé », recommande-t-il.
Des RDV annuels de l'autonomie ?
Si près d'une décennie après la publication de son rapport, Patrick Gohet observe une prise de conscience sur la question de l'avancée en âge, il admet néanmoins que « la mobilisation et la sensibilisation sont en deçà » de ses attentes, espérant que le tout nouveau Conseil national de la refondation (CNR, article en lien ci-dessous) changera la donne. En attendant, il incite à créer « les rendez-vous annuels de l'autonomie », avec une équipe chargée de faire un « état des lieux sur les avancées réalisées, les obstacles rencontrés et les mises en perspective ». En bref, « une sorte d'observatoire de l'autonomie et de l'accompagnement qui mette notamment en lumière les manques et les pertes. Parce que les manques s'accroissent... »
*Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees)