Lors de la campagne présidentielle, les « confidences » d'Eric Zemmour sur « l'obsession de l'école inclusive » avaient fait scandale (article en lien ci-dessous). Il avait déclaré préférer « accueillir » les enfants handicapés dans des « établissements spécialisés, sauf pour les gens légèrement handicapés évidemment », plutôt qu'en classe ordinaire. A quelques exceptions près, tout le monde lui était tombé dessus. Le 8 novembre 2022, alors qu'il est auditionné par la commission du Sénat, Pap Ndiaye, ministre de l'Education nationale, tient des propos qui font écho. Si l'impact médiatique n'a pas été aussi virulent, il a mis le feu aux poudres au sein de certaines associations du champ du handicap.
Les propos du ministre
Pap Ndiaye a déclaré : « L'école inclusive, c'est une démarche extrêmement positive dont nous devons être fiers (...) mais, dans le même temps, il faut aussi reconnaître que tous les enfants ne peuvent pas être en milieu ordinaire ». Il mentionne alors « l'existence du médico-éducatif » qui, de son point de vue, « ne doit pas être remise en cause » avec les « agrafages entre IME et milieu ordinaire », rappelant « l'éventail des dispositions pour que les enfants présentant des besoins spécifiques puissent être accueillis en dehors du milieu ordinaire ». Il évoque une situation « d'embolie générale » qui nécessite d'échanger avec ses collègues Braun (ministre de la Santé) et Darrieussecq (ministre des Personnes handicapées), ainsi que les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées) qui, selon lui, sont « en phase sur ce constat et sur la nécessité de réfléchir sur cette question de manière un peu structurelle » pour ne « pas se contenter d'ajouter des postes d'AESH (accompagnants d'élèves en situation de handicap) qui, de toute façon, ne suffisent pas ».
« A-t-il tort pour autant ? »
Le Groupe polyhandicap France, qui s'exprime surtout au nom des enfants porteurs de handicaps lourds et complexes, a pris position : « A-t-il tort pour autant ? Nous ne le pensons pas. Mais nous aimerions qu'il aille plus loin et, comme l'y invite la loi de 2005, qu'il se donne -nous donne- les moyens de compenser cette impossibilité. ». Sa présidente, Marie-Christine Tézenas, consent qu'il existe des obstacles en termes « de fatigabilité, d'attention, de temporalité différente, d'épilepsie, de confort, d'hyperacousie... », estimant à 10 % le nombre d'enfants polyhandicapés qui sont en mesure d'intégrer des « unités externalisées polyhandicap » récemment ouvertes dans les écoles ordinaires. Elle invite cependant la « société réellement inclusive » à « trouver le moyen de contourner ces limites, plutôt que de les dénier » et surtout à ne « pas remettre en cause leur droit inaliénable aux apprentissages scolaires ».
Réactions plus radicales
Pour le reste, les réactions sont plus hostiles qui dénoncent cette remise en cause « par principe », principalement sur les réseaux sociaux, avec plus ou moins de pondération. Daniel Langloys, présidente d'Autisme France, tweete : « Mais quelle honte. Faut trier les enfants ? Parce que l'école refuse d'être inclusive ? A vomir. ». Pour Cécile Morin, qui milite contre le validisme au sein du CLHEE (Collectif lutte et handicaps pour l'égalité et l'émancipation), le ministre « réactive le vieux préjugé de la hiérarchie sociale des handicaps » avec des « handicaps 'acceptables' donnant le droit aux enfants d'aller à l'école quand d'autres ne l'auraient pas ». Marie Rabatel, présidente de l'Association francophone des femmes autistes, écrit : « Il n'y a pas d'enfant inadapté, il n'y a que des sociétés inadaptées avec des écoles inadaptées à la différence ! ». Quant au collectif CAA, qui s'implique auprès de personnes avec des troubles de la communication, il dit sa « colère face à un tel discours », qu'il considère « hors la loi », promettant de ne pas « rester inactif ».
« Ma place, c'est en classe »
Un collectif d'associations* impliquées dans la scolarisation des élèves en situation de handicap, celui-là même qui a lancé la campagne « Ma place, c'est en classe », a été le premier à dégainer dans un communiqué, jugeant les propos du ministre « choquants ». « Si tout le monde s'accorde à dire que, dans l'état actuel, l'école est encore trop souvent dans l'incapacité de scolariser tous les jeunes, il ne saurait être question de s'en tenir à ce simple constat et rejeter la faute sur les besoins très spécifiques que présenteraient certains élèves », précise-t-il. Il encourage le ministre à « s'attaquer aux causes du retard que notre pays accuse en matière d'accessibilité de notre école ».
Le CNCPH dénonce un dérapage
Le CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées) veut à son tour « en finir avec les dérapages sur la scolarisation d'enfants handicapés à l'école de la République », promettant de « réagir chaque fois qu'une personne publique remettra en cause ce droit ». Tous rappellent les conventions internationales et les recommandations récentes du comité des droits des personnes handicapées de l'ONU qui souligne les engagements pris et non mis en œuvre pour respecter la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) et la réglementation en vigueur.
Lors de son audition, Pap Ndiaye a mentionné l'« acte II de l'école inclusive », annoncé lors du Comité interministériel du handicap du 6 octobre 2022. Pour le CNCPH, il ne « saurait se résumer à une séparation entre les enfants qui pourraient être admis à l'école… et les autres ! ». Le conseil demande donc au ministre de « revenir sur ses propos et d'expliciter le sens qu'il souhaite donner à son action ». Dans un système qui est loin d'être parfait et peut aussi affecter certains enfants -à l'époque, contre toute attente, de nombreux parents d'enfants handicapés étaient allés dans le sens d'Eric Zemmour témoignant que l'école ordinaire pouvait être une souffrance-, il est néanmoins important que le projet sociétal fixe un cap non négociable. Selon le CNCPH, cette « ambition nécessite des transformations en profondeur du système éducatif, une évolution des pratiques professionnelles, un renforcement de la coopération avec le secteur médico-social et les professionnels libéraux… ».
Le Sénat inquiet du coût de l'école inclusive
A noter que, de son côté, le Sénat, en marge de l'examen du budget 2023, se dit « inquiet du coût de l'école inclusive ». Un rapport sur l'enseignement scolaire (page 58) rédigé par Gérard Longuet, pointe la croissance exponentielle du nombre d'élèves en situation de handicap scolarisés depuis dix ans, avec des budgets en hausse de plus de 300 % -près de quatre milliards d'euros aujourd'hui- principalement dédiés à la rémunération de leurs accompagnants (AESH). S'il insiste sur le fait que la présence des élèves handicapés en classe « doit être garantie », il « s'interroge » sur le « renforcement continu des moyens humains » qui « remet en question la soutenabilité financière à long terme ». Cette situation « nécessite de revoir le modèle de prescription » des MDPH puisque l'employeur Education nationale n'a aucune visibilité sur les effectifs qui sont déterminés par les notifications émises. « Si la compensation des inégalités sociales et familiales constitue en soi un objectif louable, il n'est pas certain que la prescription d'un adulte dédié aux élèves les plus en difficulté socialement soit une solution durable », conclut le rapport. Ce dernier suggère de consolider un référentiel national concernant les prescriptions d'aide humaine.
* ANPEA, APF France handicap, Gapas, FCPE, Fédération générale des PEP, FISAF, FNASEPH, Fédération PEEP, Trisomie 21 France, UNANIMES, avec le soutien de l'association Isaac Francophone