Par Jessica Lopez
Question : Pourquoi la thématique des femmes a-t-elle été mise à l'honneur alors que s'est ouverte la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, du 19 au 25 novembre 2018 (articles en lien ci-dessous) ?
Brigitte Bricout, présidente de l'association Femmes pour le dire, femmes pour agir : Car en tant que femmes et handicapées, elles subissent une double discrimination notamment dans l'emploi. Dans une récente enquête, le Défenseur des droits faisait valoir que le handicap était la première source de discrimination au travail et que 43% des femmes en situation de handicap en avaient fait l'objet. Une femme handicapée, comme toutes les autres, doit pouvoir prétendre à un double équilibre, financier et personnel, et le travail y contribue. Or, elles sont encore moins en emploi que les hommes dans un contexte déjà très sinistré où le taux de chômage des personnes handicapées est de 19%.
Ce que nous demandons c'est que l'on prenne en compte de façon spécifique ce qui est subi par les femmes. Pour cela, il faut des statistiques officielles genrées sur l'embauche de personnes handicapées, le maintien en emploi. Cela est représentatif de la société. A la télévision, est-ce qu'on voit des femmes handicapées ? En politique ? Dans la culture ? Non. Il n'y a guère que dans le sport où quelques figures féminines émergent, mais c'est le handicap vu par le prisme du combat, de la performance, du dépassement de soi, ce qui est assez éloigné du quotidien de nombreuses femmes.
Q : Vous êtes en situation de handicap et vous avez fait carrière dans les ressources humaines, que préconisez-vous ?
BB : L'école est le premier rempart contre le chômage car encore trop de personnes handicapées ne vont pas jusqu'au Bac. Il faut qu'on mette les bonnes conditions d'accompagnement pour ces enfants, qui connaissent des situations plus complexes que leurs camarades. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'une personne handicapée doit redoubler d'effort pour réussir. Moi-même, j'ai dû batailler pour rester à l'école ordinaire car on voulait me mettre dans un établissement spécialisé.
J'ai eu la polio et j'ai toujours claudiqué. A l'école, on m'appelait 'la boiteuse'. En plus, dans les années 1960, la jupe était obligatoire pour les filles et tout le monde voyait ma jambe atrophiée. Quand le pantalon a été enfin autorisé, ça a été une délivrance et j'ai caché ce handicap. Comme l'école peut l'être, l'entreprise est un milieu hostile. Elle met au point des process, fait du management de personnes, cherche la rentabilité, la compétitivité. Par nature, elle n'est pas adaptée au handicap et donc elle doit s'adapter. Pour les femmes, il y a en plus une double sanction car le plafond de verre demeure et pour cela non plus l'entreprise française ne s'est pas adaptée.
Q : Concrètement, comment les entreprises pourraient-elles respecter leur obligation d'embaucher 6% de travailleurs handicapés ?
BB : L'entreprise ne doit pas considérer qu'elle a résolu son problème simplement en embauchant une personne handicapée, elle l'a résolu quand cette personne devient autonome, est intégrée. Les bons sentiments ne suffisent pas. Il faut se donner le temps que ça marche, mettre en place un accompagnement dans les services concernés, former les managers. Il ne faut pas se voiler la face, un handicap peut mettre une relation en tension. Le monde valide n'a pas conscience à quel point il peut être difficile pour un conjoint, une fratrie, les proches, de vivre avec une personne en situation de handicap. Alors quid de l'entourage professionnel ? Je crois aux solutions de formation et d'accompagnement global au sein d'une même équipe, d'un même service pour détruire les stéréotypes et arrêter de penser que tout est question de compétence.
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