Par Catherine Fay-De-Lestrac
Vers une petite « révolution » pour les achats sur Internet pour les personnes handicapées. En vertu de la nouvelle directive européenne European accessibility act (EAA) de 2019, entrée en vigueur le 28 juin 2025, les sociétés privées proposant des services numériques vont devoir les rendre accessibles à tous, y compris par exemple aux internautes malvoyants (EAA : l'accessibilité numérique, une obligation en 2025).
« Obligés de donner notre code confidentiel au commerçant »
« Pour payer un taxi ou des courses avec une carte bancaire, acheter un billet de transport, avec les écrans tactiles de plus en plus courants, un aveugle ne sent qu'une vitre lisse, et non plus des touches. Nous sommes obligés de donner notre code confidentiel au commerçant ou à un accompagnant », explique Bruno Gendron, président de la Fédération des aveugles de France. « Sélectionner les produits, les mettre dans un panier, choisir un créneau de livraison : à chaque étape on peut se retrouver bloqué si une case n'est pas correctement codée », confirme Manuel Pereira, chargé de l'accessibilité numérique à l'association Valentin Haüy, qui agit en faveur des 70 000 aveugles et 1,5 million de malvoyants dans l'Hexagone.
Seuls 4 sites de e-commerce accessibles sur 202
Le pire, dit-il, c'est le « Captcha », cette mosaïque d'images destinée à prévenir des demandes robotisées, qui demande de sélectionner par exemple des motos : impossible pour un aveugle.
Sur les 202 sites de e-commerce passés au crible par cette fédération, quatre seulement sont « pleinement conformes aux obligations légales » d'accessibilité. Ils sont 28 sur les 57 services bancaires analysés.
Quelles sont les entreprises exemptées ?
Toutes les entreprises proposant des biens et services dans le e-commerce, les transports, banques, télécommunications et audiovisuel et livres numériques doivent désormais entrer dans le rang. Des délais existent toutefois pour certains services et produits afin de se mettre en règle, précise la Répression des fraudes (DGCCRF) à l'AFP. Jusqu'alors, ces obligations pesaient sur les administrations et entreprises privées réalisant plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. Les entreprises ayant moins de 10 salariés et réalisant moins de deux millions d'euros de chiffre d'affaires en seront exemptées.
Sites et produits adaptés à tous les handicaps
Les sites et produits devront être adaptés à tous les handicaps : sous-titrages des vidéos pour les malentendants, langage simplifié pour les handicaps cognitifs, police de caractère adaptée aux troubles « dys »... Il faudra permettre à une personne déficiente visuelle ou en situation de handicap moteur de naviguer avec ses aides techniques (synthèse vocale, loupe...) ou des raccourcis clavier, et fournir une alternative textuelle aux images contenant de l'information.
« Alors que le numérique est un passage obligé et pourrait faciliter le quotidien des personnes handicapées, beaucoup de sites ne leur sont pas accessibles... et augmentent leur exclusion », déplore Moïse Akbaraly, cofondateur d'Ipedis, un cabinet spécialisé qui accompagne les entreprises. « En rendant le site accessible aux personnes handicapées, qu'on estime à 17 % de la population, on améliore l'expérience de l'ensemble des utilisateurs », ajoute-t-il.
Un défi progressif
Une « révolution » qui va se faire par étapes, selon l'Arcom, le gendarme du numérique. Beaucoup de sites ne sont pas prêts. « C'est un gros défi. Cela va être progressif. Nous allons engager un travail de sensibilisation pour que tous les acteurs et entreprises concernés (sites des médias et livres numériques) comprennent leurs obligations et les mettent en œuvre », explique Laurence Pécaut-Rivolier, membre du collège de l'Arcom.
Des contrôles effectués par l'Arcom
L'Arcom sera chargée, avec la Répression des fraudes, de contrôler la mise en application de la règlementation. « Le secteur du e-commerce est mobilisé, mais la mise en œuvre est complexe », confirme Erika Klein, responsable juridique de la Fevad (Fédération e-commerce et vente à distance). « Cela demande de revoir complètement la conception des sites, ce qui représente une charge technique, humaine et financière importante. »
La nécessité de l'accessibilité universelle
Les spécialistes s'accordent à dire qu'il faut intégrer les dispositifs d'accessibilité dès la conception du site : il est difficile et coûteux de changer un site existant. Ils souhaitent que l'accessibilité soit intégrée dans la formation des professionnels du numérique, peu formés actuellement. « Tout ne va pas changer en un jour mais, depuis le 28 juin, les individus et les associations ont la possibilité de saisir les autorités de contrôle pour faire respecter la loi », souligne Manuel Pereira.
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