« Pour les jeunes ingénieurs porteurs de projets, la déficience visuelle, c'est la DMLA de la grand-mère et ils ne voient pas l'enjeu sur l'emploi », explique Charles de Villaines, membre de la commission de pilotage d'Access'Lab. Cet incubateur de projets numériques innovants dédiés au handicap visuel entend donc briser les clichés et véhiculer une image « moderne, marketée, positive et high-tech du handicap », en y accordant des moyens importants. Access'Lab initie, accompagne et finance durablement le développement des projets qu'il sélectionne. Mobilité autonome, accès à l'information, formation professionnelle… Un seul objectif, la pleine intégration de ce public, avec une priorité à l'emploi. Cette initiative, c'est toute une histoire…
Parcours d'un pionnier
Charles de Villaines a essuyé les premiers plâtres, après avoir perdu la vue à 18 ans à la suite d'un accident de voiture. Il entre malgré tout à l'université Paris-Dauphine, en éco-gestion. A l'époque, c'était il y a 20 ans, pas de technologie, pas de support de cours numérique. Il possède néanmoins un ordinateur et fait figure « d'ovni ». La mission handicap de l'université « ne savait pas quoi faire », selon lui. Mais rien ne l'arrête : Erasmus à Londres, HEC, un MBA aux Etats-Unis. Chaque fois, il se « débrouille » alors que la technologie s'invite peu à peu dans notre quotidien et donc dans le sien. Fort de son expérience, en 2015, il crée un fonds dédié aux technologies liées au handicap mais le peu de concepts intéressants ne permet pas d'assurer sa viabilité. Il laisse tomber… pour quelques temps. En 2019, nouvelle tentative, via Access'Lab, un incubateur de projets technologiques liés à la déficience visuelle, qui bénéficie cette fois du soutien de la Fondation Valentin Haüy.
Numérique, un outil précieux
« C'est la marque concrète de notre fondation », explique Christian d'Aboville, son directeur, qui se dit convaincu que « le numérique est un moyen d'apporter des réponses concrètes à la déficience visuelle ». Mais, selon lui, « le problème, dans ce handicap, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui agissent mais chacun dans leur coin, d'où l'idée de briser ce silo et de les réunir pour mettre leur savoir-faire en commun afin de trouver des solutions rapidement ». Les dossiers sont étudiés par le comité de pilotage, « tous des geeks, très au courant de ce qui se fait dans ce domaine ». La Fondation soutien aujourd'hui une dizaine de projets, dont quatre au sein d'Acces'Lab. « L'objectif n'est pas la rentabilité, confie Christian d'Aboville, mais de financer des initiatives qui ont un vrai intérêt, pourvus qu'elles soient focalisées sur l'accès à l'emploi. » Un cas de figure ? Une personne aveugle qui obtient un diplôme de kiné ne peut pas s'installer en solo dans son cabinet car il n'existe aucun logiciel de facturation légal et public adapté à sa déficience. Comment lui permettre de trouver une solution concrète ?
Selon Anthony Martins-Misse, déficient visuel, entrepreneur de l'année 2020 des Trophées H'up dédiés aux entrepreneurs en situation de handicap (article en lien ci-dessous), cette initiative singulière dans le paysage de la déficience visuelle va « dépoussiérer ce vieux rhinocéros ». L'expertise des personnes concernées est mise à profit ; elles collaborent avec les ingénieurs, qui, le plus souvent, ne sont pas concernés personnellement par ce handicap, pour les orienter vers des solutions pragmatiques car certains « ont parfois tendance à réinventer la roue » en proposant des idées proches de produits déjà commercialisés.
Des exemples de projets incubés…
Une problématique majeure, c'est la mobilité outdoor, c'est-à-dire la navigation dans les espaces publics, les rues… « Des solutions existent mais elles sont imparfaites, explique Charles, ce domaine n'en étant qu'à ses balbutiements ». N-Vibe est ainsi le premier GPS outdoor pour personnes aveugles et malvoyantes. Grâce à ce système de vibration, l'utilisateur peut rester à l'écoute des dangers environnants et rejoindre sa destination en toute sécurité. La Fondation Valentin Haüy soutient l'expérimentation de la solution indoor afin d'exploiter cette fonctionnalité au sein de bureaux d'entreprise, de zones de déplacement comme les gares, favorisant ainsi l'emploi. Autre exemple de projet : Intégra11y, une formation à distance entièrement vocalisée qui prépare au métier d'intégrateur/intégratrice web, maillon essentiel de la chaîne de conception web. Quant à ActifsDV, c'est un service de l'association apiDV (ex-GIAA) qui vise à accompagner, promouvoir et intégrer les actifs déficients visuels.
Acces'lab soutient également Audiospot, une appli de diffusion d'informations géopersonnalisées, disponible gratuitement sur smartphones et tablettes. Par ailleurs, le « Localisateur » est un logiciel qui a pour fonction d'agréger et de filtrer l'information en ligne pour la rendre accessible aux déficients visuels.
Autre corde à son arc, il propose un réseau d'experts qui, s'ils n'ont pas vocation à vendre du matériel aux entreprises, peuvent les orienter vers les outils déjà existants. Enfin, cet incubateur produit des données inédites sur le handicap visuel qui ont vocation à être largement partagées ; la première enquête 2021 est consacrée aux usages et besoins en matière de numérique, notamment lorsqu'il concourt à l'employabilité (article en lien ci-dessous).
Des moyens à la hauteur
Après deux ans d'existence, et parce que la crise actuelle a ralenti son engagement, Access'Lab en appelle aux idées innovantes, promettant des moyens à la hauteur. Son budget, qui reste « secret », n'a pas été entièrement dépensé faute de candidats. « Nous recevons assez peu de projets, déplore Charles de Villaines, signe que ce handicap est assez méconnu et peu pris en compte. » Ne reculant devant aucune ambition, l'enveloppe sera même augmentée en 2022. Pour le moment, les projets soutenus sont français mais Access'Lab envisage de s'ouvrir à l'international, a fortiori si le budget n'est pas entièrement consommé.