Un massif forestier sera rendu accessible dans chaque département d'ici 2027, avec le concours de l'ONF (Office national des forêts). C'est l'une des mesures du Comité interministériel du handicap (CIH) de septembre 2023. Comme une promesse pleine de fraîcheur que l'on doit certainement à l'engagement d'une jeune femme.
Marie, son amour pour la pleine nature
Elle s'appelle Marie Lemière, étudiante en Master 2 Bioterre (géographie environnementale) à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Dans le cadre de son stage au sein de la Délégation ministérielle à l'accessibilité (DMA), elle publie, en 2023, un mémoire intitulé Le défi de l'accessibilité des espaces naturels aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, le cas des forêts de France. En 110 pages, elle offre une analyse remarquable de l'accessibilité des massifs forestiers.
Marie sait de quoi elle parle. A 26 ans, dont 4 d'hospitalisation et 18 d'errance médicale, elle découvre, en 2015, le mal qui lui mène la vie dure : le syndrome d'Ehlers-Danlos de type hypermobile. « Le handicap m'a pris ce que j'ai de plus cher au monde, explique-t-elle, courir et rouler dans les forêts, les dunes, les chemins escarpés face au Mont-Saint-Michel. » Le choix de ce sujet est né, selon elle, de la « frustration d'avoir à renoncer à (ses) sorties en forêt, à ces pérégrinations d'antan qui ont réveillé en (elle) cet amour inconditionnel des espaces forestiers ». Elle souhaite que cet écrit « amène l'intelligence collective vers une réflexion coconstruite en faveur d'une accessibilité pleine et efficiente des forêts », conjuguée à d'autres nécessités, la production de bois et la préservation des écosystèmes forestiers.
Une dynamique qui s'est essoufflée
S'il existe un « guide des parcs nationaux accessibles », le sujet de la pleine nature adaptée est peu exploré et documenté, surtout sur le versant « forêts ». Pourtant, elles couvrent 31 % du territoire français, dont 75 % appartiennent à des propriétaires privés et 25 % à l'Etat. Si de nombreuses études prouvent que santé et forêt vont de pair, comment y accéder, s'y déplacer, s'y orienter en toute autonomie lorsqu'on a un handicap cognitif, sensoriel, physique ? Même si un engagement précurseur de l'ONF est observé au début des années 2000 grâce au concours de quelques personnalités bien identifiées, dix ans plus tard cette « dynamique s'est essoufflée » avec le départ de ces pionniers et la baisse des crédits publics. Alors, comment faire souffler un vent nouveau dans les branches ?
Sur le terrain
Pour réaliser son enquête, Marie a mené des entretiens avec une soixantaine de gestionnaires d'espaces naturels (ONF, parcs nationaux, parcs naturels régionaux...), des fédérations sportives ou encore des chercheurs et a sondé des centaines de personnes en situation de handicap. En grande majorité, elles déplorent un parcours semé de « bûches » sur des sentiers non aménagés, principalement celles qui utilisent un fauteuil roulant ou une canne : des trous dans le sol, la boue, les racines, les dénivelés, les chemins trop étroits qui demandent une proprioception importante.
Marie décide d'en avoir le cœur net et accompagne un groupe à la découverte des 800 mètres du sentier PMR (personne à mobilité réduite) de la Faisanderie, en forêt de Fontainebleau gérée par l'ONF. Parmi elles, Marjolaine, 68 ans, atteinte d'un handicap visuel. C'est la première fois qu'elle retourne en forêt depuis qu'elle est aveugle. Si elle admet qu'il est « très fatigant de se concentrer sur un sol parfois instable », elle a la satisfaction d'être allée au terme de la promenade grâce à d'autres aménagements adaptés. « Quel plaisir d'entendre les oiseaux, le vent à travers les branches et de pouvoir sentir les éléments en relief sur les panneaux le long du sentier », confie-t-elle le sourire aux lèvres.
60 sentiers accessibles en France
Aujourd'hui, l'ONF recense plus de 60 sentiers accessibles dont 10 ont reçu le label Tourisme et handicap. Mais ni une évaluation de leur état ni un décompte exhaustif n'ont été réalisés depuis 2011. Les informations données sur son site dans l'onglet « Activités en forêt » « manquent de fiabilité (renouvellement de la labellisation, entretien des sentiers…) », selon l'auteur du mémoire, sans compter les obstacles pour se rendre sur place en l'absence de transports adaptés, mettant en évidence l'absence de cet état des lieux nécessaire. Dans son mémoire, Marie Lemière donne en exemple celui de la Madone, dans le Morvan, qui culmine à 500 mètres d'altitude. Long de 160 mètres, il proposait initialement une promenade d'une vingtaine de minutes jalonnée de rambardes sécurisées, de tables et bancs, d'abris, de panneaux en braille mais, depuis une dizaine d'années, ces aménagements se sont fortement dégradés en raison d'un manque d'entretien. Même si certains « territoires abondent de volontés et d'idées ingénieuses et durables », ce type d'initiatives demeure l'exception.
Des actions à venir…
Comment poursuivre sur le bon chemin ? A l'issue de son travail de fin d'études, Marie a fait une note stratégique avec la proposition de confier à l'ONF une nouvelle mission d'intérêt général (MIG) concernant l'accueil du public en forêt et l'accessibilité des sentiers forestiers, accompagnée de différentes mesures, notamment une convention avec la FFH (Fédération française handisport) et la FFSA (Fédération française de sport adapté) en faveur du développement des sports de nature ou encore le renforcement du volet accessibilité du fonds de dotation ONF-Agir. Cela suppose également une « véritable volonté politique et une stratégie affirmée » avec un « programme distinct avec un comité de pilotage et un contrat d'objectif », insiste-t-elle. Son message impactant a été entendu puisqu'elle a pu transmettre les conclusions de son travail à la conseillère handicap du président Macron qui a promis de s'investir sur ce sujet. A l'occasion du CIH du 20 septembre 2023, Matignon a décidé de confier à l'ONF la mission d'élaborer un plan stratégique pour la création de sentiers accessibles aux personnes en situation de handicap. De son côté, la DMA envisage de publier un guide de bonnes pratiques sur l'accessibilité des espaces naturels. Objectif ? En faire un enjeu d'utilité public.
« Le rôle social des forêts n'est plus à démontrer » et leur accès doit devenir « un droit fondamental », conclut Marie Lemière, qui rappelle que les espaces naturels ne sont pas soumis à la loi handicap de 2005. Selon elle, cela passe aussi par le « décloisonnement des imaginaires sociaux qui laissent à penser que ces environnements très éloignés du quotidien des personnes handicapées sont sources de dangers et d'insécurité ». Pour faire entrer dans tous les esprits une grande bouffée d'oxygène ?