1 pour 500 000. C'est le nombre de psychothérapeutes par habitant dans la majorité des pays africains, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Pourtant, 110 millions de personnes, principalement des femmes, rencontrent des difficultés psychiques en Afrique, soit près de 10 % de la population. Précarité, violences conjugales et intrafamiliales, analphabétisation en sont souvent à l'origine. Face à cet écart considérable entre l'offre et la demande, Marie-Alix de Putter, fondatrice de la Bluemind foundation et militante en santé mentale franco-camerounaise, a eu une idée. Et si les soins venaient aux patients ? Rien de tel que le salon de coiffure, qui tient un rôle socialement important en Afrique, pour devenir l'antichambre d'un cabinet de psy. C'est ainsi qu'« Heal by hair » a vu le jour. « Guérir par le cheveu » en français, voilà le pari de ce premier mouvement de coiffeuses ambassadrices en santé mentale en Afrique francophone, lancé en avril 2022 à Abidjan (Côte d'Ivoire).
Être écoutée sans être jugée
67,3 % des femmes ont en effet déclaré se confier aux professionnelles de soins de beauté, selon une enquête de terrain réalisée en juillet 2021 par les équipes de Bluemind foundation. De leur côté, 91 % des coiffeuses se disent prêtes à se former aux premiers secours psychologiques. « Les femmes ne viennent pas forcément au salon pour faire leurs cheveux. Elles sont stressées, traversent une dépression, ont un problème et ne savent pas avec
qui le partager. Elles ont confiance en leurs coiffeuses », affirme Victoire Biégny, l'une des vingt-deux ambassadrices de la toute première promotion. Habituées à entendre leurs clientes se livrer, Fanta et ses collègues sont aujourd'hui en mesure de détecter les premiers signes de troubles anxieux ou dépressifs. L'équivalent des premiers secours en santé mentale, notamment mis en place en France (article en lien ci-dessous) ? « Oui et non », tranche Maire-Esther de Putter. « Il s'agit vraiment d'une formation de base à la santé mentale, accessible au plus grand nombre, d'une durée de trois jours, aux côtés de professionnels (psychiatres et thérapeutes) ». Ce stage, à la fois théorique et pratique, doit leur permettre de maîtriser cette notion tout en corrigeant quelques habitudes d'écoute « puisqu'elles sont déjà dans une posture de dialogue ». On leur apprend par exemple à ne pas délivrer de conseils et à éviter de se projeter. « Ce ne sont ni des secouristes ni des bénévoles mais des ambassadrices », poursuit Marie-Alix de Putter. L'objectif étant de guider leurs clientes vers un thérapeute qualifié.
A l'issue de ce « stage », les coiffeuses reçoivent une certification qui, pour la plupart, constitue leur tout premier diplôme. Une source de satisfaction doublée d'encouragements sociaux, comme par exemple l'accès à des régimes de prévoyance, que le programme s'engage à apporter. « C'est un cercle vertueux pour ces femmes cheffes d'entreprise », résume l'initiatrice du programme.
5 millions de femmes accompagnées en 2035 ?
« En sachant que notre 'pipeline' est aujourd'hui composée de plus de 100 coiffeuses prêtes à être formées et qu'une coiffeuse voit en moyenne entre 250 et 300 femmes par mois, ce sont ainsi près de 25 000 femmes qui pourront être sensibilisées chaque mois », apprend-on sur le site de la Bluemind foundation. A l'horizon 2035, elles seront près de 5 millions d'après ses estimations. Si, pour l'heure, l'initiative est en phase de déploiement en Afrique francophone, à Abidjan, Lomé (Togo), Kinshasa (République démocratique du Congo), Yaoundé (Cameroun), dans les quartiers ou communes les plus précaires, Marie-Alix de Sutter n'exclut pas de la déployer plus largement sur le continent et même en Europe, voire en France « dans les lieux où la diaspora africaine est implantée ».