Christelle, Jean-Claude et Sylvain vivent dans une institution pour personnes handicapées, mais ce sont aussi des acteurs en tournée, dont on peut voir le travail dans « Tohu Bohu » (du 3 au 6 mai 2016) et «... que nuages ...» (du 10 au 13 mai), deux pièces au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis (site du théâtre en lien ci-dessous). L'été prochain, la petite troupe sera au Festival d'Avignon, pour une pièce inspirée par Louis II de Bavière, « Ludwig, un roi sur la lune ». Une consécration pour le travail entrepris depuis 30 ans par la metteure en scène Madeleine Louarn avec des résidents handicapés d'un centre de Morlaix, au sein de l'atelier Catalyse. Dans « Tohu Bohu », sept comédiens alternent des extraits de textes (l'auteur russe Daniil Harns, « Alice au Pays des merveilles » ...) et leurs propres improvisations, où ils racontent leur parcours d'acteur. «... que nuages...» associe des films de Samuel Beckett et des textes de ses toutes dernières pièces.
« Un manifeste de notre parcours à tous »
« Tohu Bohu est vraiment un petit manifeste de notre parcours à nous », explique Madeleine Louarn. « On essaie de restituer quelque chose d'eux, de leur manière d'être, c'est passionnant d'entrevoir un peu ce qu'il y a de singulier dans ces personnes qui sont mystérieuses malgré tout ». Le spectacle joue sur deux niveaux : derrière le texte, la personnalité des acteurs saute à la figure. Sylvain, chemise Hawaï et tongues, raconte sa fascination pour Hollywood, et danse sur « Maria » de West Side Story avec une poésie extraordinaire. Christelle, née prématurée à 5 mois et demi lève les bras en signe de victoire, hilare, et s'autoproclame « super-héros », elle qui a démenti tous les pronostics médicaux en s'accrochant mordicus à la vie. C'est rythmé, très savoureux, les comédiens dégageant un bonheur de jouer communicatif.
Une diction parfois difficile
Les scènes s'enchaînent sans temps mort, il faut certes tendre l'oreille, la diction étant parfois difficile, mais le texte porté par ces acteurs singuliers prend une autre dimension. « Une amie m'a dit récemment qu'après les avoir entendus, on n'entend plus pareil les autres acteurs », confie Madeleine Louarn. « Il y a une autre musicalité, une autre partition. Ca déplace la manière classique de faire du théâtre ». Le théâtre est pratiqué depuis longtemps dans les institutions, mais à visée thérapeutique et le public voit rarement les pièces. « Il y a une très grande écoute du public, parce qu'il est saisi à un endroit inconnu pour lui, il y a un effet émotionnel fort », remarque Madeleine Louarn. « Le but n'est pas de cacher le handicap ni d'en faire un stigmate, c'est juste de permettre que ces personnes puissent raconter et apporter une vision poétique qui leur appartienne ».
Que nuages © Christian Berthelot