Autiste, mis au placard : il en appelle à la justice!

Jean-Marc, 52 ans, fonctionnaire, autiste, mis au placard. Il réclame alors une retraite anticipée pour invalidité mais l'expert mandaté par l'administration va à l'encontre de celui en autisme qui le suit. Il en appelle au ministre de la Justice.

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Jean-Marc, 52 ans, est fonctionnaire au sein du ministère de la Justice. Président d'une association de personnes autistes dans le Sud de la France, il est lui-même autiste Asperger, ce qui peut engendrer des « défauts d'ajustement social avec autrui », selon l'expert en Troubles du spectre de l'autisme (TSA) qui le suit depuis 2013. Depuis quelques années, sa situation professionnelle empire. « Avec l'âge, la capacité d'adaptation des personnes autistes finit par diminuer », d'autant que la Fonction publique est, selon lui, « de moins en moins encline à accepter les différences », notamment en raison d'une exigence de polyvalence peu compatible avec ses troubles. Depuis 2016, il ressent la situation comme du harcèlement.

Des risques psychosociaux graves

Cette dégradation finit par entraîner, selon lui, des « risques psychosociaux graves ». L'évolution de la situation le pousse à demander une retraite pour invalidité mais les choses ne se passent pas vraiment comme prévu. Cet employé a eu beau fournir des pièces médicales émanant de son médecin psychiatre expert, qui évoque des difficultés liées à l'autisme « sans ambiguïté », il se voit contester son trouble par « l'expert » mandaté par l'administration. De plus, dans son expertise, ce dernier mentionne le fils de Jean-Marc, lui aussi avec un diagnostic de TSA officiel, en le définissant comme « malade mental grave ». Et « sans même le connaître », regrette ce papa.

Une mise au placard

Ce fonctionnaire, manifestant une hypersensibilité auditive et visuelle, ainsi que des difficultés de communication au téléphone et en direct, finit par obtenir, avec l'appui « timide » du Défenseur des droits, des aménagements de poste de travail que sa hiérarchie rechigne à appliquer, se contentant de lui confier des tâches subalternes : « ouvrir des enveloppes ou apposer des tampons », selon lui. En dévalorisant ses aptitudes, il s'agit plus clairement de le « mettre au placard ». Dans la foulée, les appréciations de son évaluation annuelle sont revues à la baisse. Face à une situation professionnelle qui ne cesse de se dégrader, son état de santé en pâtit, avec l'apparition de troubles somatiques et de pensées suicidaires.

Demande de retraite pour invalidité

La situation semble sans issue… Alors, avec le soutien de la Délégation interministérielle à l'autisme, son employeur consent à lui proposer le lancement d'une « procédure de demande de retraite pour invalidité imputable au service ». Un taux d'invalidité entre 60 et 80 % est défini par le psychiatre spécialiste du TSA qui le suit ; pour rappel, pas moins de six troubles ont été identifiés, dont certains consécutifs à la dégradation de la situation de travail. « Ce taux, légitime au vu de son état de santé au sens large, permettrait à l'intéressé de ne pas sombrer dans la précarité », explique l'association PAARI (Personnes autistes pour une autodétermination responsable et innovante) qui lui apporte son soutien.

Des difficultés au cours de la procédure

Pourtant, la procédure est loin de se passer comme prévu. L'autisme ne figurant pas dans les « pathologies et troubles » définis, une autre case a dû être cochée ! C'est aussi un expert non spécialisé dans les TSA qui a été désigné pour « l'examiner », son analyse donnant lieu à certaines « incohérences ». Se basant sur son rapport, le comité médical propose alors un taux d'invalidité de 40 % pour deux handicaps relevés et mentionne une « invalidité non imputable au service ». « Aberrant », selon PAARI. Le montant de sa retraite ne serait alors que de 500 euros par mois. Jean-Marc peut toujours engager un recours en saisissant le comité médical supérieur mais avec… un an d'attente. Et sans garantie, prévient le ministère de la Justice. « Cette procédure qui devait constituer une issue digne et légitime pour l'intéressé (comme pour son employeur d'ailleurs) se transforme en parcours du combattant aggravant ses problèmes de santé », déplore le collectif PAARI.

Alerte à Eric Dupond-Moretti

Ce dernier s'est donc adressé, le 2 avril 2021, à Eric Dupond-Moretti, dénonçant « l'intolérance et le mépris » de cette décision et une « injustice grave (…), faute de prise en compte des spécificités de l'autisme, trop peu reconnues dans le monde du travail ». Dans une lettre ouverte, il demande donc au ministre de la Justice, selon Jean-Marc, « connu pour aider les plus faibles », de « tout mettre en œuvre » pour que cette « expertise psychanalytique », qualifiée « d'un autre âge », ne soit pas retenue. Selon elle, c'est celle du psychiatre spécialiste des TSA qui doit servir de référence. Rappelons que ce débat agite également le milieu de la justice, de nombreuses associations de personnes autistes déplorant la mainmise de la « vieille école psychanalytique » parmi les experts judiciaires ; cette méconnaissance manifeste des troubles de l'autisme entraîne des décisions parfois absurdes (article complet en lien ci-dessous).

L'association de soutien réclame une retraite digne pour que ce fonctionnaire « ne sombre pas dans la précarité ». Elle rappelle que « l'accès et le maintien dans l'emploi des personnes autistes restent un combat de tous les jours » ; moins de 2 % d'entre elles travaillent. Une décision doit être rendue dans les jours à venir…

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