Des bleus, des mutilations, des cris, des comportements violents… Des enfants battus, forcément ? Certains sont placés aux bons soins de l'ASE (Aide sociale à l'enfance), suspectés d'être maltraités par leurs parents. A tort ? N'ont-ils pas plutôt des troubles autistiques, pour le moment sans diagnostic ? La justice se montre parfois bien prompte à déclarer les familles pathogènes plutôt que de rechercher les causes de ces comportements problèmes. La faute aux mères, le plus souvent. Maman suspectée, sacrifiée. On l'accuse de tous les maux, trop froide, trop chaude, trop aimante, pas assez, la coupable toute désignée.
Bête noire des services sociaux
Le cas le plus emblématique, qui défraie la chronique depuis des années, c'est l'affaire Rachel (article en lien ci-dessous). Devenue la bête noire des services sociaux, elle-même autiste, elle s'est vue retirer la garde de ses deux enfants autistes. Depuis, son combat reste vain. Rachel, un épiphénomène ou pas ? Combien de familles ainsi sacrifiées, également dans le champ des maladies rares comme le cas de Louna, retirée à l'âge de trois mois à ses parents parce qu'elle présente des œdèmes liés à une maladie héréditaire (article en lien ci-dessous) ? Pas de statistique. « Souvent, les parents eux-mêmes ne savent pas que leur enfant est autiste car, en cas d'information préoccupante (IP), qui émane la plupart du temps de l'école, le processus diagnostic n'est pas toujours entamé, explique Chams-Ddine Belkhayat, président de l'association Bleu Network dédiée à l'inclusion des personnes autistes. Démunis face aux accusations, ils peinent à se défendre face à un système où la psychanalyse a pris le pas sur l'expertise médicale et a déjà fait d'eux des coupables. » « Un scandale que tout le monde dénonce depuis longtemps », déplore à son tour Jean-Marc Bonifay, président d'Autisme PACA et représentant d'usagers national pour les TSA (troubles de spectre autistique).
Le gouvernement se mobilise
De récentes mesures pourraient-elles changer la donne ? Le 6 avril 2021, Adrien Taquet, secrétaire d'Etat à l'Enfance, et Sophie Cluzel (handicap) déclarent vouloir « mettre fin à la confusion entre l'autisme, le TDAH (trouble déficitaire de l'attention avec ou sans hyperactivité) ou les troubles Dys et les signes de maltraitance ». Après avoir réuni un groupe de travail sur la prise en compte des troubles du neurodéveloppement (TND) dans l'évaluation des situations d'enfants en danger ou susceptibles de l'être, le gouvernement promet une série « d'actions concrètes » élaborées par des associations concernées, des élus, des professionnels de santé et de la Justice. Elles visent à « mettre en œuvre les mesures de la stratégie nationale pour l'autisme au sein des TND », 4ème du nom, lancée en 2018.
Des actions concrètes
Des dispositifs sont d'ores et déjà en place pour former les professionnels pouvant être à l'initiative d'une IP. Généralistes, pédiatres, médecins scolaires et de la protection maternelle et infantile sont mobilisés pour identifier les signes d'alerte, notamment dans le cadre de la mise en place du forfait d'intervention précoce. Les professionnels de l'Education nationale bénéficient également d'informations via la plateforme Cap école inclusive. Quoi de neuf en 2021 ? Au 2è trimestre, une liste de « médecins experts » sera diffusée aux cellules de recueil des informations préoccupantes (CRIP) via les Agences régionales de santé, ainsi qu'aux magistrats. « Ils devront se prononcer en urgence, sous cinq jours, pour établir un diagnostic », explique le communiqué commun des secrétariats. D'ici juin, un kit pédagogique sur l'autisme destiné aux professionnels du travail social sera également publié. Enfin, des actions de formation, pilotées par le ministère de la Justice, seront engagées en 2021 par l'Ecole nationale de protection judiciaire de la jeunesse et proposées à l'Ecole nationale de la magistrature. Objectif ? Dispenser des connaissances scientifiques actualisées sur les TND et permettre d'enclencher le recours aux experts inscrits dans la toute nouvelle liste. Selon Sophie Cluzel, « cette avancée importante » est « inscrite dans la durée. »
Un bon début, selon les asso
Les associations ont réagi favorablement à cet engagement, « attendu depuis le 3ème plan autisme », selon Sophie Biette, référente autisme de l'Unapei. « C'est la meilleure chose qui pouvait arriver pour éviter des drames familiaux », se réjouit Jean-Marc Bonifay. Cependant, la liste des « experts de l'autisme » interroge. Selon le président de Bleu network, « il n'y en a pas tant que cela ». Quant aux médecins généralistes, qui sont pourtant en première ligne pour repérer les troubles éventuels, « ils ne sont pas formés ». Même scepticisme d'Olivia Cattan, présidente de SOS autisme France : « Les autismologues, ça n'existe pas. Pour établir cette liste, il va falloir s'accrocher ! Sur quels critères sera-t-elle constituée ? ». « Cet annuaire des spécialistes, sur le point d'être finalisé après deux ans de travail de la Délégation interministérielle à l'autisme, recensera des médecins de 3ème ligne, c'est-à-dire ayant les compétences maximales, collaborant au sein des CRA (Centres ressources autisme), CRTSLA (Centres de référence des troubles du langage et des apprentissages) et Centres experts TDAH », tente de rassurer Jean-Marc Bonifay. Mais comment se prononcer en cinq jours pour confirmer une hypothèse alors qu'il faut entre deux et trois mois pour poser un diagnostic, voire bien davantage ? Selon Olivia Cattan, c'est un travail de longue haleine qui exige « d'ouvrir une vraie spécialisation médicale sur l'autisme avec une formation solide des personnels de santé (dentistes, médecins, pompiers…) ». Elle est soutenue par l'Unapei qui réclame à son tour une « sensibilisation en amont de l'Education nationale, pourvoyeuse également d'informations préoccupantes ». Pour Chams-Ddine Belkhayat, « sur le principe, former les médecins experts et sensibiliser les écoles de magistratures est un bon début et une nécessité mais il faut aller plus loin, vers une connaissance plus profonde des TND ».
L'emprise psychanalytique
Une autre question se pose… Comment les magistrats vont-ils saisir ces experts nouvellement référencés ? Et quel recours pour les familles s'ils refusent de les consulter ? La plupart des juges n'ont pas de connaissances spécifiques sur l'autisme et se fient en toute bonne foi aux conclusions de leurs propres experts. Et c'est là que le bât blesse… l'emprise psychanalytique sur la justice ! Déjà en 2019, dans une tribune au vitriol parue dans L'Obs à l'initiative de Sophie Robert qui s'est fait connaître avec son documentaire édifiant sur l'autisme Le Mur, 60 psychiatres et psychologues demandaient que les partisans d'analyses d'inspiration freudienne soient écartés des expertises judiciaires. Cette « vieille école », dont les théories ne sont plus reconnues ni recommandées par la Haute autorité de santé depuis 2017, aux connaissances obsolètes, qui sévissent aux affaires familiales, dans les tribunaux pour enfants… « Le courant de pensée psychanalytique reste majoritairement représenté au sein des experts agréés », déplore Jean-Marc Bonifay. Pour Chams-Ddine Belkhayat, la priorité c'est « d'en finir définitivement avec ces expertises qui jugent et condamnent certains parents sans recours possible ».
Pour les adultes aussi
Faut-il aller plus loin ? Si la mobilisation du gouvernement concerne pour le moment les enfants, certains espèrent un engagement identique, rapide, en faveur des adultes, ces grands oubliés, notamment pour mettre fin aux hospitalisations abusives, sous contraintes (article en lien ci-dessous). Jean-Marc Bonifay appelle à « reconsidérer les situations critiques, qui ont pu être 'traitées' sous un angle psychanalytique, en rouvrant les 'dossiers' concernés avec, cette fois, une expertise réalisée par un professionnel répondant aux recommandations de bonnes pratiques ». « Certains vivent des situations préoccupantes car ces mêmes experts sont consultés par divers services judiciaires dont les tutelles et on les retrouve souvent comme chefs de service ou d'intersecteur psychiatrique », conclut ce représentant associatif, lui-même autiste et père d'un adulte autiste.