DERNIERE MINUTE DU 2 DÉCEMBRE 2024
10 ans, c'est le temps qu'il aura fallu à Nicolas Fargette pour obtenir une place dans une maison d'accueil spécialisée (MAS) pour son frère Dimitri, porteur d'autisme. Après plusieurs années dans des hôpitaux psychiatriques, il intègrera mi-décembre, une unité de l'association Sésame-Autisme de Grand-Charmont dans le Doubs, adaptée à ses besoins.
Après une plainte de la famille déposée en 2019, le tribunal administratif de Besançon, dans le Doubs, avait condamné l'État, le 1ᵉʳ octobre 2024, à trouver dans un délai de trois mois, avec astreinte financière, une place pour Dimitri dans une MAS. Mission accomplie le 28 novembre 2024. Un grand soulagement pour la famille Fargette qui se battait depuis plus de 10 ans pour obtenir une prise en charge adaptée.
DERNIERE MINUTE DU 9 MAI 2022
La procédure engagée par la famille Fargette suit son cours mais, en parallèle, une nouvelle lui donne bon espoir. Dans un courrier daté du 22 avril, l'ARS fait savoir qu'à compter du mois d'octobre 2022, la « première unité résidentielle pour adulte souffrant de troubles du spectre de l'autisme en situation hyper complexe (URTSA) sera déployée progressivement sur le Nord Franche-Comté ». Elle ajoute que, « dans un premier temps, un accueil partiel sera réalisé dans le cadre de séjours dits de répit et d'évaluation ». Dimitri Fargette a été identifié comme « faisant partie des situations individuelles les plus complexes » et son orientation en URTSA pourrait donc « être envisagée » après étude par la Commission régionale d'admission. La fin d'un parcours du combattant ?
ARTICLE INITIAL DU 9 JUILLET 2021
Dimitri, 40 ans, autiste, n'est toujours pas sorti de l'hôpital psychiatrique dans lequel il « réside » sur décision de justice, le Centre hospitalier spécialisé de Saint-Ylie (Jura). Son frère, Nicolas Fargette, a beau se démener comme un diable, rien n'y fait. Les portes se sont refermées, les relations avec le personnel envenimées, il est désormais persona non grata.
Sur liste d'attente
Un accueil a pourtant été accordé à Dimitri en maison d'accueil spécialisée (MAS) par la MDPH du Jura en 2018 pour une période de cinq ans. Sur liste d'attente… depuis tout ce temps. Son cas est jugé sévère, pas d'autres options que l'internement dans des conditions que Nicolas juge « indignes ». Il affirme que son frère est « enfermé, attaché et drogué aux psychotropes ». « En contention », jugée parfois nécessaire par son comportement, répond Arielle Forey, directrice des soins du CHS, qui précise qu'elle se décide « sur prescription médicale, avec une surveillance adaptée, sur un temps défini » et assure qu'une « vraie réflexion est menée par les équipes pour accompagner les patients dans leur parcours de vie », avant d'ajouter « avec les moyens existants ». Car c'est aussi la situation de la psychiatrie, parent pauvre de la médecine, qui est en cause dans cette affaire.
Un collectif en renfort
D'autres familles, une quinzaine, ont néanmoins corroboré les dires de Nicolas Fargette, témoignant à leur tour de certains traitements imposés à leur proche : camisole chimique, isolement, contentions abusives, privation de liberté, absence d'activités thérapeutiques ou abus de pouvoir envers les familles… Pour faire entendre leur voix, elles se sont unies en collectif début 2021. Le 16 janvier, elles se pressent sous les fenêtres du tribunal de Lons-le-Saunier. Quelques jours plus tard, elles adressent des attestations de témoins au procureur de la République pour « maltraitance sur personnes vulnérables ». Mis en place par le ministère de la Justice, ces documents très officiels portent même un n° Cerfa : le 11 527 03. Avec pour en-tête « Nous sommes là pour vous aider », elles permettent de signaler à la justice que l'on a été témoin d'un fait. En cas de fausse déclaration, le témoin encourt « un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende ». Malgré les enjeux, les familles persistent et signent… Copie est adressée au Défenseur des droits en février, sans réponse à ce jour.
Une aide-soignante dédiée
En attente d'une autre solution, qui semble vaine, Nicolas revendique une meilleure prise en charge pour son frère ; il obtient gain de cause puisqu'une subvention est versée depuis décembre 2020 par l'Agence régionale de santé (ARS) Bourgogne-Franche-Comté afin de « faciliter l'accompagnement à l'hôpital de son frère » avec un ratio de présence supérieur à un établissement spécialisé. Une aide-soignante lui est dédiée à temps plein depuis le mois de mars, proposant à Dimitri des jeux, de la motricité, de la musique, des sorties en extérieur et des activités collectives pour le stimuler. Nicolas déplore n'avoir jamais été averti et ne pas avoir rencontré cette personne. On lui répond que ce n'est pas de son ressort, ce qu'il a du mal à admettre. L'ARS Franche-Comté assure que tout a été mis en œuvre pour le bien-être de ce patient (une télé protégée, sa chambre refaite), mais aussi des équipes, admettant dans le même temps que cette « situation est très complexe ». Nicolas consent que son frère peut parfois se montrer violent, frappant contre les murs ou ayant brisé la table de la salle de télé… « Mais, séquestré, il n'a pas d'autres recours pour manifester son mal-être », défend-il.
Climat tendu
Chaque mois, des réunions rassemblent les parties prenantes mais l'ambiance est électrique. L'équipe soignante reproche à Nicolas de rejeter toutes les médiations, d'avoir agressé un membre du personnel, de vouloir entrer de force dans le service, de ne pas respecter les protocoles renforcés par la crise sanitaire, notamment les heures d'appel ou de visite, d'enregistrer les conversations téléphoniques à l'insu de ses interlocuteurs et de poster sur les réseaux sociaux des vidéos dénigrant cet hôpital ; un comportement jugé « inacceptable » par la direction. Au point que, fin juin 2021, Nicolas apprend qu'il est interdit de visite pour « troubles graves ». Se disant épuisé et non entendu après tant de batailles et d'errance, il demande à son avocat, Maître Mayet, spécialiste des internements en psychiatrie, d'engager des poursuites pour contester cette décision. « Mais encore faut-il pouvoir payer, regrette Nicolas. Celui qui n'a pas d'argent ne se défend pas, tandis que les familles fragilisées redoutent ce parcours du combattant ».
Un combat plus vaste
Derrière le cas Fargette se cache le combat de toutes ces familles qui dénoncent le placement abusif en hôpitaux psychiatriques de certaines personnes autistes sévères ou handicapées avec des troubles associés… Un constat qui fait visiblement consensus, y compris au sein du CHS Saint-Ylie. Axelle Forey admet que Dimitri « relève d'un autre type de structure » et assure « mener un vrai partenariat pour lui proposer une orientation vers un établissement spécialisé ». Même son de cloche de la Délégation interministérielle à la stratégie nationale pour l'autisme et les TND. Alertée sur la situation de Dimitri, elle n'a pu, à ce jour, apporter de réponse concrète. Elle consent que, pour ce public, les dispositifs d'accompagnement sont « mis en échec », parfois « maltraitants ». Et donc ?
Des unités résidentielles à venir ?
« Il va quand même falloir se poser la question des personnes handicapées hospitalisées sous contrainte qui ne relèvent pas du handicap psychique », s'indigne Maître Mayet. Ce dernier adressait en mai 2021 une lettre au Premier ministre dans laquelle il réclamait une indemnisation de 50 000 euros au titre du préjudice moral, « premier pas avant le recours contentieux pour privation de liberté et défaut de solution adaptée dans le médico-social, contraire à la loi handicap de 2005 ». Il dénonce que, « comme Dimitri, d'autres personnes végètent, en attente d'une place qui ne vient jamais, dans des lieux de soins et pas de vie ». La stratégie autisme prévoit la création de petites unités résidentielles, regroupant six personnes maximum (article en lien ci-dessous)... Mais pas avant 2022. L'ARS Franche-Comté planche sur cette option pour laquelle Dimitri aurait le « profil ».
Le procureur ouvre une enquête
En attendant, la famille Fargette poursuit son bras de fer et somme la justice de « faire son travail ». Elle semble avoir été entendue puisque, début juillet, le procureur de la République ouvre une enquête. Ce n'est qu'à l'issue des interrogatoires de toutes les parties qu'il décidera de donner suite… ou pas ! Nicolas est confiant : « Après avoir recueilli plusieurs dépositions, la police nous a assurés qu'elle prenait cette affaire très au sérieux ». De son côté, le CHS conteste « toute allégation » et se tient « à disposition des autorités ».