"Quand je l'ai prise dans mes bras, le côté gauche de son corps restait inerte, je me suis dit qu'Héloïse avait dormi sur le côté, qu'elle était engourdie". Domitille Beutter était loin d'imaginer ce matin-là que son enfant, alors âgée d'un an et demi, avait fait un AVC.
Un millier de nourrissons par an
L'accident vasculaire cérébral touche chaque année un millier de nourrissons, enfants et adolescents, alertent les spécialistes à l'occasion de la journée mondiale de l'AVC le 29 octobre 2018. Mais sa rareté -moins de 1% des AVC concerne les moins de 18 ans- explique en grande partie le fait qu'il soit méconnu. Ce jour de septembre 2016 Domitille Beutter a quand même eu le réflexe d'appeler le 15. "Je m'attendais à ce qu'on me dise 'ça va passer' ou que l'on me donne un conseil". Mais sa fille est immédiatement partie aux urgences, victime d'un AVC provoqué par un caillot sanguin.
Une réaction immunitaire disproportionnée ?
Héloïse a maintenant 3 ans et demi. Elle remarche et porte une petite attelle pour son pied qui traîne et menace de la faire chuter. Elle en a terminé avec l'orthophonie en juin mais continue la kiné, l'ergothérapie. "Je n'avais jamais entendu parler d'AVC chez les enfants. Quand on en parle dans notre entourage, les gens tombent des nues", poursuit la mère de quatre enfants, ingénieure de formation devenue prof de maths. La cause de l'accident d'Héloïse ? "A priori, c'est une réaction immunitaire disproportionnée à un virus qui n'a pas été identifié, peut-être un petit rhume. Les médecins ont éliminé les autres causes (génétique, héréditaire, maladies vasculaires)", dit-elle.
Sa bouche déformée
Fin juillet 2017, Anne-Laure et Laurent, parents de la petite Juliette, 4 ans, ont été confrontés au même choc. La famille est en vacances et joue dans la piscine quand Juliette appelle son père. Il la prend dans ses bras : son corps est mou, inerte. Mais très vite elle dit qu'elle veut retourner jouer dans la piscine. Ses parents l'allongent sur un canapé pour qu'elle se repose. "On a pensé à une hypoglycémie, un malaise vagal, à la fatigue car il faisait très chaud", raconte le père. Elle fait un second malaise, sa jambe se dérobe, elle tombe, sa bouche est déformée et elle parle bizarrement. Puis ces symptômes disparaissent très vite.
Le verdict d'un généraliste
Au moment du déjeuner Juliette n'a pas faim mais elle va mieux. Par précaution, les parents appellent le généraliste du village. "Le médecin est devenu tout blanc quand on lui a raconté ce qui s'est passé. Il a appelé le 15". Verdict : "Juliette a fait un AVC. Nous avons eu beaucoup de chance de tomber sur ce médecin", raconte Laurent. "Nous pensions que c'était impossible chez l'enfant. Même mon beau-père qui avait fait un petit AVC n'y a pas pensé". Pour Juliette, 5 ans aujourd'hui, la récupération sera longue mais "elle fait du vélo et de la trottinette et joue avec ses copains à l'école".
4h30 pour agir
"La majorité de ces AVC survient chez des enfants préalablement en bonne santé", dit à l'AFP la Dr. Manoëlle Kossorotoff (hôpital Necker, Paris) coordinatrice du centre national de référence AVC de l'enfant. "50% n'ont pas de cause identifiée", l'accident est parfois lié à une infection assez banale, le plus fréquemment virale dont la varicelle. "Le délai diagnostic est trop long, très peu arrivent dans les 4 heures 30" à l'hôpital, c'est-à-dire le délai pour agir (thrombolyse, thrombectomie)", déplore-t-elle. Les symptômes sont pourtant assez proches de ceux de l'adulte (paralysie, faiblesse d'un côté du corps, difficulté à parler, déformation de la bouche...) plus des crises d'épilepsie, des convulsions.
1ère cause de handicap acquis de l'enfant
L'AVC de l'enfant est la première cause de handicap acquis de l'enfant (retards psychomoteurs, difficultés scolaires...), selon la Fondation recherche AVC, qui déplore un manque de financement. "Un tiers de ces accidents surviennent entre le dernier trimestre de la grossesse (AVC in utero) et le premier mois de vie", note la spécialiste. La France dénombre chaque année plus de 140 000 nouveaux cas d'AVC (soit un AVC toutes les 4 minutes) en majorité ischémiques et plus de 30 000 décès. Un adulte sur dix qui vit avec des séquelles d'AVC l'a eu dans son enfance.