« Au collège et lycée, ce n'est pas l'aveugle que les mecs vont draguer .» « Moi, je ne savais pas comment me décrire, ce que je dégageais .» Ces propos ont été recueillis par la maison d'édition adaptée pour jeunes déficients visuels Mes mains en or, dans le cadre d'une enquête sur l'accompagnement à la vie affective et sexuelle reçu par ce public. 130 professionnels du secteur et 90 personnes mal ou non-voyantes ont témoigné. Plus de la moitié d'entre elles affirment aujourd'hui avoir rencontré des difficultés particulières en lien avec la sexualité et la vie affective du fait de leur handicap, tant sur le plan social que personnel.
A quoi ressemble un pénis en érection ?
Manque de confiance en soi, peur de ne pas plaire à l'autre, d'être stigmatisé (…), si l'exploration sexuelle est une affaire complexe pour toutes et tous, elle n'est pas toujours une partie de plaisir pour l'ado déficient visuel. On a en effet tendance à oublier que le point d'entrée du désir est la vue. En l'absence de regard, « la communication avec l'autre est différente », poursuit un autre témoin. Les premières difficultés apparaissent en cours d'éducation à la sexualité, où tout se passe au tableau, à l'aide de schémas, dessins ou tutos. Comment, alors, imaginer l'appareil reproductif masculin ou féminin ? Comment appréhender l'enfilage du préservatif uniquement grâce à une description orale ou encore l'usage des protections hygiéniques ? « Il faut penser à parler des règles et du fait que cela peut tacher les vêtements, qu'une tache sur une couleur claire se verra beaucoup plus. Voilà une chose qui ne peut pas se deviner quand on n'a jamais vu de sang de sa vie », indique une jeune fille. Si toutes ces questions peuvent paraître évidentes pour la plupart, elles le sont moins pour une personne non-voyante, d'autant que la situation peut parfois s'avérer embarrassante. « Il m'a par exemple été très difficile de me représenter un pénis en érection », poursuit-elle. Un bon nombre d'informations seraient plus facilement accessibles via le toucher mais, devant la classe toute entière, la peur du jugement empêche souvent ces élèves de réclamer une « découverte tactile ».
30 % n'ont pas reçu d'éducation à la sexualité
Résultat, 30 % des personnes interrogées disent ne pas avoir reçu d'éducation sexuelle. Or, depuis 2001, le Code de l'éducation impose « une information et une éducation à la sexualité dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d'au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogènes ». Les établissements et services médico-sociaux, dont font partie la majorité des élèves interrogés dans cette enquête, n'en sont pas exempts. Selon la loi du 2 janvier 2002, « l'accès à une vie affective, relationnelle, intime et sexuelle des personnes en situation de handicap est un droit garanti aux personnes accueillies et accompagnées » dans ces ESMS. Se pose alors la question du format de l'accompagnement à la sexualité à l'école. Faut-il le rendre inclusif ou spécialisé ? Les avis semblent partagés. Pour 71 % des répondants, il doit « être » ou « peut être » spécialisé ; un groupe de parole non-mixte autoriserait ainsi plus d'aisance. A l'inverse, 29 % souhaitent garder le même accompagnement que tout un chacun : « Il n'y a rien de plus frustrant pour un déficient visuel que de se sentir visé comme étant justement différent », avance l'un d'eux.
Des axes d'amélioration
Pour rendre accessible cet accompagnement, plusieurs axes d'amélioration sont proposés aux écoles, ESMS mais aussi aux familles qui représentent un tiers des acteurs concernés par l'éducation à la sexualité. Il est question de mieux aborder certaines thématiques, par exemple les questions de genre, la rencontre/séduction, la prévention des maladies sexuellement transmissibles, l'aspect biologique et, surtout, la question du consentement. A ce titre, 31 % des adultes avec une déficience visuelle répondent avoir déjà subi des violences sexuelles.
Vers des outils plus adaptés ?
Les rédacteurs de l'enquête invitent ainsi les ESMS, « qui ne remplacent pas l'école ou la famille », à « établir un projet d'établissement clair », mieux « identifier les personnes ressources qui pourraient être sollicitées par les jeunes accompagnés », travailler de concert « avec l'Education nationale, les organismes spécialisés et les familles » ou encore à « proposer aux professionnels une formation théorique dédiée ». Surtout Mes mains en or, qui est avant tout une maison d'édition créée par Caroline Chabaud encourage à constituer une bibliothèque de ressources pédagogiques via des livres adaptés, des objets tactiles, des podcasts... « De nombreux ouvrages sont disponibles dans le commerce mais restent inaccessibles », déplore cette maman d'une jeune femme non-voyante qui se donne pour mission de « rétablir l'équité dans l'accès à ces contenus » en collaborant avec les établissements spécialisés.