Par Bernard Osser
L'avortement pourrait être presque totalement interdit en Pologne au terme d'un débat entamé le 10 janvier 2018 par les députés, plus d'un an après "la protestation noire" des femmes contre une précédente tentative dans ce pays catholique où l'IVG est déjà fortement limitée. Le Parlement polonais, dominé par les conservateurs nationalistes de Droit et Justice (PiS) a décidé dans la soirée d'envoyer en commission une législation durcissant les conditions pour autoriser un avortement en Pologne. Un deuxième projet d'initiative citoyenne, libéralisant l'IVG, a lui été rejeté après un débat houleux de quelques heures.
En cas de malformation du fœtus
Le texte envoyé en commission, déposé fin novembre 2017 par le Comité Stop Avortement, doit interdire "l'avortement eugénique", celui décidé en raison d'une malformation du foetus constatée grâce à un examen prénatal. Ce genre de problème est à l'origine de 1 046 avortements, soit 96% des IVG pratiquées légalement en Pologne en 2016, selon Kaja Godek, une responsable de Stop Avortement. "Le projet, très bref, prévoit d'enlever de la loi en vigueur la possibilité de tuer les enfants handicapés ou risquant de l'être", a-t-elle expliqué à l'AFP.
Tuer des enfants handicapés ?
Si cet amendement à la loi actuelle - fruit d'un compromis laborieusement atteint en 1993 - est voté, l'IVG ne sera plus autorisée que dans deux cas : risque pour la vie ou la santé de la mère et grossesse résultant d'un viol ou d'un inceste. "Il existe un grand consensus en Pologne quant à l'interdiction de tuer les enfants handicapés. En deux mois, la proposition a été signée par un nombre record de 830 000 personnes", assure Mme Godek. Le président Andrzej Duda, proche de l'Église catholique, s'est engagé en novembre à promulguer la loi une fois adoptée. "Je signerai la loi interdisant l'avortement eugénique, avant tout pour supprimer le droit de tuer des enfants atteints du syndrome de Down" (trisomie 21), avait déclaré le chef de l'État.
Jusqu'à 5 ans de prison ?
La proposition est moins restrictive que celle qui avait provoqué en 2016 de grandes manifestations de femmes vêtues de noir dans plusieurs villes de Pologne et avait finalement été rejetée par le Parlement. Ce texte prévoyait des peines allant jusqu'à cinq ans de prison pour les médecins et autres personnes participant à l'IVG, y compris pour les patientes elles-mêmes, mais autorisait le juge à renoncer à punir ces dernières. Plus de cent personnes, adversaires du durcissement de la législation et défenseurs du libre accès à l'IVG, vêtues de noir, ont manifesté devant le parlement polonais pour "défendre les droits de l'Homme et les droits des femmes", a constaté un journaliste de l'AFP.
Des images choc
"Je réfléchis très sérieusement à émigrer. J'aime beaucoup mon pays mais le climat politique change tellement que je n'imagine pas faire naître et élever mes enfants ici", a dit une femme de 32 ans, Kamila Radecka. En face, une quinzaine de manifestants pro-vie ont installé un grand écran projetant des images de corps de bébés ensanglantés et un grand haut-parleur diffusant des cris d'enfants. "L'avortement est le meurtre d'un enfant innocent", a lancé un des militants, Maciej Wiewiorka. La deuxième proposition dont doit débattre le Parlement vise, elle, à libéraliser l'IVG, introduire l'éducation sexuelle dans les écoles et autoriser l'accès libre à "la pilule du lendemain". Le projet nommé "Sauvons les femmes 2017" qui n'a pratiquement aucune chance de passer, prévoit le droit à l'avortement jusqu'à la 12e semaine de grossesse pour des raisons psychologiques et sociales.
Une Pologne européenne ?
"Les droits de la femme ont été sévèrement limités depuis plus d'un an, on a limité l'accès à la contraception, aux droits reproductifs", a déclaré Barbara Nowacka qui allait présenter la proposition devant le Parlement. "Nous voulons une Pologne normale, européenne", a-t-elle ajouté. Depuis leur arrivée au pouvoir il y a deux ans, les conservateurs ont introduit plusieurs mesures alignées sur les vues de la puissante Église catholique. Le gouvernement PiS a notamment mis fin dès mi-2016 au programme de financement de la fécondation in vitro par l'État. En mai 2017, il a limité l'accès à "la pilule du lendemain", désormais accessible uniquement sur prescription médicale.