Par Nicolas Revise
Posé à l'angle d'une des artères les plus prospères de Manhattan, au milieu d'imposants gratte-ciels abritant banques et entreprises, Café Joyeux Lexington occupe, depuis janvier 2024, un espace harmonieux et lumineux qui doit être inauguré le 21 mars 2024, Journée mondiale de la trisomie 21, par le fondateur de cette entreprise solidaire française, Yann Bucaille-Lanrezac.
Le 21e Café Joyeux, le 1er outre-Atlantique
"On arrive avec beaucoup d'humilité", dit à l'AFP cet entrepreneur social de 54 ans qui, avec sa femme Lydwine Bucaille, a ouvert le premier Café Joyeux à Rennes en 2017, puis quatorze autres en France, quatre au Portugal et un en Belgique. Le restaurant parisien des Champs-Elysées a été inauguré en mars 2020 par le président Emmanuel Macron et celui de Lisbonne, en novembre 2021, par son homologue portugais Marcelo Rebelo de Sousa (articles en lien ci-dessous). Mais, à New York, ni le président américain Joe Biden ni le maire Eric Adams n'ont été conviés au 21e Café Joyeux, le premier aux Etats-Unis pour cette association qui vend aussi, en France, du café aux centres commerciaux et aux entreprises.
"Pas de leçon aux Américains"
Avec au total 169 "équipiers" en Europe avec un handicap mental ou cognitif, M. Bucaille-Lanrezac ne veut "pas faire la leçon aux Américains". Car son Café Joyeux new-yorkais est "un projet américain" dans le quartier "Midtown" de Manhattan, temple des entreprises, banques, avocats, assureurs, hôtels et restaurants. "On se fait aider par des spécialistes des questions d'inclusion, de différence et de handicap mental, notamment les organisations AHRC et Autism Speaks implantées à New York depuis des dizaines d'années" et qui œuvrent à l'intégration sociale de personnes "neurodivergentes", explique-t-il.
Un "prêt pour 10 ans"
Le Français a mis plus de deux ans à monter une société de droit local avec un actionnaire unique, à but non lucratif, financée par le mécénat et la philanthropie dont les dons sont défiscalisés, comme c'est la norme aux Etats-Unis. Dans l'une des villes les plus chères au monde, Café Joyeux se fait "prêter" pour dix ans, par le promoteur immobilier Boston Property Group, un espace calme d'une trentaine de places, décoré par l'architecte d'intérieur Sarah Lavoine. On peut y déguster cafés italiens et plats simples conçus par le chef français Thierry Marx, à des prix conformes à la vie chère new yorkaise.
14 équipiers handicapés
Pour mettre un pied sur le marché ultra-saturé de la restauration rapide, toujours en pénurie de main-d'œuvre après la pandémie de Covid, Café Joyeux a recruté une directrice et des encadrants américains sans handicap pour s'occuper de "quatorze équipiers avec des troubles autistiques, cognitifs et avec trisomie 21". A l'instar de Peter Anderson, "serveur, plongeur et barista" d'une vingtaine d'années qui déplore que, "dans beaucoup d'endroits, il n'y (ait) pas d'emploi pour des personnes avec ce genre de handicap". Pourtant, "nous avons les mêmes droits qu'une autre personne qui travaille", souligne-t-il.
80 % d'adultes exclus de l'emploi
Selon des statistiques officielles, les Etats-Unis comptent sept millions d'adultes avec des handicaps mentaux et cognitifs. Quelque 80 % d'entre eux sont exclus du marché du travail. "C'est très dur pour nous de trouver un job, même en étant qualifiés voire surqualifiés. Il suffit de dire 'je suis autiste ou trisomique' pour ne pas être recruté. Nous sommes considérés comme un poids et c'est injuste", témoigne auprès de l'AFP Rachel Barcellona, jeune autiste titulaire d'un diplôme universitaire et élue Miss Floride.
"Un service de grande qualité"
Pour Yann Bucaille-Lanrezac, ses nouveaux employés new-yorkais "ont le temps de progresser, de démontrer qu'au cœur d'une ville avec une clientèle très exigeante et très pressée, ils peuvent créer de la valeur et apporter un produit et un service de grande qualité". De quoi ravir Giovana Mullins, une cliente. Cette trentenaire travaillant dans le milieu du handicap se plaint du service de mauvaise qualité de chaînes américaines de cafés à tous les coins de rue à New York. "Même sans savoir ce qu'est ce café (joyeux), on sent l'énergie et la joie qui s'en dégagent", s'enthousiasme-t-elle.
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