« Je bégaie depuis l'âge de 3 ans et demi. Au départ, mes parents ont cru à un retard de langage mais ça a été de pire en pire. Chaque syllabe, chaque mot était une lutte. Je n'ai pas parlé jusqu'à l'âge de 10 ans car je souffrais du regard des autres, et puis j'ai découvert le théâtre... Le déclic de ma vie ! Je prenais un plaisir immense à être sur scène et ne bégayais presque pas. Depuis, je suis un bègue bavard, très bavard. » Nicolas Garcia, 37 ans, s'est distingué lors du « Grand Oral » de France 2, le 4 février 2020. Au-delà de son handicap, c'est sa résilience et sa verve qui ont interpellé le jury de l'émission.
Le bégaiement, une histoire de famille
Ce jour-là, il se remémore « avec émotion » son premier concours d'éloquence. Une expérience aussi « incroyable » qu'« angoissante ». « Je me souviens de tout ce chemin parcouru, de cette institutrice qui m'envoyait constamment au coin dès que je bégayais fortement et de ces camarades de classe qui me disaient : 'Il faut un décodeur pour arriver à te comprendre'. Je me souviens de toutes ces brimades qui ont développé en moi, très jeune, un fort sentiment d'injustice. Inutile de vous raconter toutes mes guerres en boîte... Et le nombre de fois où je suis sorti de la boulangerie avec une maudite baguette car je ne parvenais pas à dire que je voulais une 'quiche lorraine'. » A sa grande « surprise », l'auditoire, conquis, se met à rire. « Un moment très intense, une victoire qu'il dédie à son grand-père, également bègue. « Je ne lui ai pas dit tout de suite que je participais à un concours d'éloquence. Quand il l'a appris, il m'a lancé : 'Tu es quand même culotté, tu es bègue grâce à moi et tu ne m'as rien dit'. Cher grand-père, ce soir je suis en train de donner un grand coup à notre fichu bégaiement ! » conclut-il, prouvant qu'on « peut être agent des finances publiques et avoir de l'humour ». Ses atouts ne lui ont pourtant pas permis de se hisser jusqu'en demi-finale, éliminé dès le premier tour. Mais, plus que pour gagner, il a participé à ce concours « pour faire passer un message d'espoir et de tolérance au plus grand nombre », assure-t-il. Son parcours fait écho à celui de Virginie Lalande, une avocate sourde de naissance, qui avait ému l'assemblée, tout juste un an avant lui, lors de l'édition 2019 du Grand Oral.
De cible à « personne respectable »
« En CP, j'étais la tête de turc de mon institutrice, livre, trois semaines plus tard, Nicolas. Selon elle, je bégayais pour qu'on s'intéresse à moi et pour embêter mes parents. Celle qui était censée faire régner l'ordre ne me respectait pas, les élèves trouvaient ça naturel de me brimer. En sport, j'étais le dernier qu'on choisissait pour composer les équipes, celui sur lequel on s'acharnait car j'étais différent et trop gentil. » Alors Nicolas aussi se met à se violenter. « Dès que je n'arrivais pas à parler, je me tapais avant de pleurer ». Des souvenirs heureux de cette époque, il les compte sur les doigts d'une main. Ses seuls moments de répit ? Lorsqu'il lit ou pousse la chansonnette. Il redouble son CP, avec une autre institutrice, et passe subitement de « cancre » à « intello ». C'est au collège qu'il débute le théâtre amateur, sur les conseils de la mère d'un ami. « Au départ, je pensais que ce n'était pas fait pour moi », livre-t-il, avant de se rendre à l'évidence : « J'arrivais à jouer mon texte sans bégayer et à faire rire une salle entière et, pour une fois, ce n'était pas à mes dépends ». Après cette expérience, les enfants se comportent différemment. « J'étais devenu quelqu'un de respectable, et ça m'a donné envie de recommencer ».
De mutique à bavard
Dopé par cette prise de confiance, Nicolas prend son handicap à bras le corps et se tourne vers l'association Parole bégaiement pour trouver des orthophonistes spécialisés. « Je refusais l'idée de bégayer toute ma vie. Ils m'ont appris à maintenir le regard avec mon interlocuteur, à allonger les syllabes, à faire des pauses et à prendre le temps de respirer », explique-t-il. A force de séances et de stages intensifs, il finit par dompter son bégaiement et à l'accepter quand il survient. « Aujourd'hui, j'ose parler à des inconnus alors que je redoutais tout contact auparavant, je fuyais les gens que je connaissais dans la rue », poursuit-il. Les concours d'éloquence ? C'est son orthophoniste qui lui a soufflé l'idée. En 2019, il participe au premier réservé aux personnes bègues (article en lien ci-dessous). « Plus qu'une compétition, c'est avant tout une expérience collective entre personnes qui se comprennent, estime-t-il. Avant le Jour-J, une série de master class est organisée avec des professionnels de l'éloquence (comédiens, avocats, orthophonistes...) pour apprendre à se tenir face au public, camper son dos, projeter sa voix, écrire son discours. » En quart de finale, « j'étais accroché à mon texte et m'excusais systématiquement de bégayer. Puis j'ai intégré les conseils des intervenants et des autres candidats et ai pris un plaisir fou, en demi-finale, à prononcer des mots que j'avais écrits, réécrits, et répétés durant des heures... » Un bonheur contagieux qui le mène jusqu'en finale, où il obtient le prix de l'audace pour avoir osé interpeller le jury. Mais sa meilleure récompense est d'avoir trouvé là un soutien, « une famille ». Autrefois redoutée, la prise de parole en public lui est devenue « vitale ».
Eloquence du bégaiement : « round 2 »
Des projets ? Il en a des tonnes et participera notamment à l'organisation de la seconde édition de « l'éloquence du bégaiement » qui se tient du 22 février au 4 avril 2020. « Rendez-vous à Paris Dauphine pour assister à la grande finale du concours et constater qu'éloquence et bégaiement sont tout sauf antinomiques ! », interpelle-t-il. Dans un second temps, il aimerait se rendre dans les écoles, collèges et lycées pour partager son parcours et sensibiliser les jeunes à la lutte contre le harcèlement scolaire et au bégaiement. « Aux jeunes bègues et à tous les autres, je souhaiterais leur dire que, dans la vie, rien n'est jamais écrit d'avance, qu'il ne faut pas cesser de croire en ses rêves, aussi différent soit-on. Bannissez le mot 'impossible' de votre vocabulaire. Enfant, je rêvais de passer à la télévision. 'Pour un bègue, plutôt rêver', pensais-je. Et pourtant... J'ai trouvé l'énergie nécessaire pour m'extirper de la case du bègue introverti qui m'était destinée. »