Bilan Cluzel : "Les résultats sont là mais il reste à faire"

Quel bilan le gouvernement tire-t-il de sa politique handicap ? AAH réévaluée et droits à vie versus refus de la déconjugalisation et accessibilité à la traîne, Sophie Cluzel fait le point sur les avancées, les déceptions, ce qui reste à faire...

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Handicap.fr : Lorsque vous avez été nommée, les réactions ont été nourries d'espoir car vous étiez, pour la première fois, présidente d'association et maman d'une jeune femme en situation de handicap. Avez-vous pu entreprendre ce que vous souhaitiez ou vous êtes-vous heurtée aux limites de votre fonction ?
Sophie Cluzel : Je peux entendre ce que vous dites mais j'ai conservé mon cap, la conviction profonde que les personnes handicapées sont des citoyens à part entière. Tout au début, j'ai réaccordé le droit de vote aux personnes majeures protégées sous tutelle. C'est l'un des points dont je suis le plus fière. Un autre est d'avoir accordé des droits à vie à l'AAH (Allocation adulte handicapé) ; plus besoin de renouveler sa demande quand le handicap n'est pas susceptible d'évoluer, c'était une attente des associations depuis des années. J'ai aussi posé certaines conditions notamment celle d'être rattachée au Premier ministre (ndlr : et non plus au ministère de la Santé), et le résultat est-là : six Comités interministériels du handicap (CIH) en cinq ans, des feuilles de route handicap et des hauts fonctionnaires à l'inclusion dans chaque ministère, avec un engagement plein et entier pour changer la donne, une prise en compte majeure du handicap dans toutes politiques publiques de droit commun, et en particulier dans la communication gouvernementale qui fait d'énormes progrès en matière d'accessibilité. Et je tiens à leur tirer mon chapeau car nous avons quand même eu cette crise sanitaire à gérer. Alors je ne sais pas quel était le niveau d'attentes mais je peux me regarder dans la glace tous les matins car les résultats sont là. Après, il reste encore beaucoup de choses à faire, je ne le conteste pas. 

H.fr : Quel est votre fil rouge, votre marque de fabrique ?
SC : La politique du choix de vie des personnes, nourrie notamment par le rapport Wolfrom/Piveteau sur l'habitat inclusif, qui offre le droit de choisir son lieu de vie, ce qui n'existait pas auparavant (article en lien ci-dessous). Je crois que jamais un rapport n'a été mis en application aussi rapidement, en moins de deux ans, avec le forfait vie partagée et déjà 600 projets dans les tuyaux dans plus de 60 départements. Il faut encourager la massification de ce dispositif car c'est comme cela que l'on va changer la donne du vivre ensemble, au cœur de la Cité.

H.fr : En matière de scolarisation, de nombreuses familles ont imaginé, parce que vous étiez personnellement concernée par le handicap, que vous alliez pouvoir accéder à leurs revendications...
SC : Le problème, c'est que ces revendications sont d'ordre extrêmement varié. Il y a certaines familles qui ne veulent pas entendre parler d'établissements spécialisés, d'autres qui refusent l'école inclusive. Le problème de notre politique du handicap dans ce domaine, c'est que pendant des dizaines d'années elle n'a pas évolué assez vite par rapport à d'autres pays européens. Nous avons posé le principe de service public de l'école inclusive mais transformer en profondeur la façon de travailler ni ne se décrète, ni ne se met en œuvre d'un claquement de doigts. Nous avons réussi à augmenter de 20 % en cinq ans le nombre d'enfants en situation de handicap scolarisés dans les écoles de la République. C'est un acquis.

H.fr : Pensez-vous avoir été freinée par le pouvoir des associations gestionnaires qui, dès 2017, étaient vent debout contre les déclarations drastiques de l'Onu qui sommait la France de « fermer tous les établissements » même si, aujourd'hui, elles assouplissent leur position et promeuvent des formules alternatives comme l'habitat inclusif ?
SC : C'est l'une des complexités de notre écosystème handicap français, avec des injonctions contradictoires. Nous l'avons bien vu avec cette audition ; le discours s'abrite parfois derrière le plaidoyer de l'Onu et puis, d'autres fois, il en sort. Je pense avoir trouvé une juste voie en travaillant sur la recherche de solutions innovantes et les plus inclusives, tout en en renforçant les besoins pour des structures adaptées aux handicaps les plus lourds. Nous avons aussi un levier très fort pour aller encore plus vite, Sérafin-PH, la réforme tarifaire des services et établissements. Mais il y a un domaine où il faut mettre le turbo, c'est sur l'enfance, pour que la coopération devienne une réalité effective, pour que les plateaux techniques continuent de se déployer à l'école et que les professionnels du médicosocial puissent bénéficier de salles de rééducation au sein de l'école ordinaire. C'est un chantier à mener en coopération avec les élus locaux.

H.fr : En cette fin de quinquennat, l'entêtement de votre majorité contre la déconjugalisation de l'AAH n'a-t-il pas entaché son image (article en lien ci-dessous) ?
SC : La question qu'il faut se poser, c'est pourquoi ce débat arrive au Parlement en dernière ligne droite du quinquennat. Cela fait trente ans que cette allocation est construite sur le même principe et, les mêmes qui ont fait ce coup politique, en l'occurrence le Sénat, un an avant juraient haut et fort que jamais ils ne plancheraient sur la déconjugalisation.

H.fr : Mais votre refus a tout de même fortement marqué les esprits...
SC : 1,2 million de personnes avec une AAH revalorisée de 100 euros par mois, promesse tenue du candidat Macron (ndlr : en réalité 90 euros à taux plein), et 140 000 personnes en couple qui ont 110 euros par mois en plus via le nouvel abattement forfaitaire en vigueur depuis le 1er janvier 2022, mais aussi un budget global du handicap qui a augmenté de 17 % et 150 000 bénéficiaires à vie de l'AAH... J'aimerais plus entendre circuler ces informations car c'est une réalité. Le système de calcul de l'AAH qui tient compte des ressources du foyer est ainsi bâti depuis 1975. On ne peut pas se réclamer d'une citoyenneté à part entière et avoir une prestation qui ne serait pas calculée comme tout le monde. Il en va de la conception de notre système de solidarité. C'est un sujet de fond, un serpent de mer, qui vaut pour tous les minimas sociaux. Plus globalement, la question est de savoir comment traiter les ressources des personnes en situation de handicap ; c'est l'enjeu des assises du CNCPH (Conseil national consultatif des personnes handicapées). Alors, bien sûr, cette période n'a pas été facile et a pu décevoir certains mais il faut remettre le débat dans sa globalité. J'assume d'avoir une politique qui va vers ceux qui en ont le plus besoin.

H.fr : Avec une centaine de mesures handicap mises en œuvre depuis 2017, avez-vous le sentiment d'avoir mis un coup d'accélérateur par rapport aux gouvernements précédents ? 
SC 
: Ce n'est pas tant la quantité qui importe mais la qualité, notamment du dialogue avec tous les acteurs. Il n'y a jamais eu autant de textes co-construits avec le CNCPH et les associations, tandis que les chantiers avec les comités de pilotage ont chaque fois abouti. Notre feuille de route, en termes de méthode, a fonctionné. Je veux par exemple parler de celle sur les simplifications dans les MDPH (Maisons départementales des personnes handicapées), que personne jusqu'à présent n'avait voulu prendre à bras le corps. Nous avons dit ce que nous faisions et nous avons fait ce que nous avons dit.

Le seul point, et le Premier ministre en a convenu, c'est que l'objectif de mobilité et de circulation des personnes dans les ERP (Etablissements recevant du public) et l'accessibilité du quotidien n'est pas encore satisfaisant ; les ambassadeurs de l'accessibilité n'ont pas encore vraiment déployé leur mission sur les territoires, certainement à cause de la crise sanitaire. C'est un sujet qui doit mobiliser les élus locaux. L'Etat peut beaucoup mais rarement tout seul. Il faut continuer de porter haut le handicap comme un sujet majeur de société.

Mais, si les effets de notre politique ne se mesurent pas encore complétement concrètement, au quotidien, dans tous les coins de France, c'est aussi que nous avons à améliorer la gouvernance de ces politiques du handicap. L'accélérateur, pour le deuxième quinquennat, va être vraiment de travailler en ce sens afin de poursuivre la transformation.

H.fr : Le « deuxième quinquennat », vous parlez avec la conviction qu'Emmanuel Macron sera réélu ?
SC : Je pense sincèrement que ce mouvement est enclenché, quel que soit le prochain président. Depuis cinq ans, le pouvoir d'agir et la dynamique de participation des personnes, que je préfère à la notion de « société inclusive » qui est aujourd'hui un peu galvaudée, s'est transformé, et c'est irréversible !

H.fr : Vous évoquiez la co-construction avec les associations mais elles n'ont pas le même son de cloche, à l'instar du Collectif handicaps qui use de critiques parfois très fortes pour qualifier l'action du gouvernement (article en lien ci-dessous).
SC : Nous sommes en pleine période pré-électorale alors c'est de bonne guerre de porter ses revendications tous azimuts. Je ne dis pas que nous sommes exempts de critiques car je sais que ça ne va pas assez vite mais, pour tendre vers l'amélioration, je préférerais des propositions concrètes plutôt que des revendications incantatoires.  

H.fr : Un gros scandale de maltraitance vient d'éclater dans certaines maisons de retraite du groupe Orpea, le secteur du handicap est-il à l'abri de ce genre de dérive ?
SC : C'est un sujet de préoccupation et nous devons avoir une exigence de qualité de la prise en charge pour tous les établissements médicosociaux. Même si le handicap est structuré différemment, avec surtout la présence d'établissements non lucratifs qui ont des modalités de financement différentes ; la majorité sont gérés par des associations de familles mais nous ne sommes jamais à l'abri de problèmes de maltraitance, raison pour laquelle nous avons travaillé sur les recommandations de bonnes pratiques et que la CNSA (Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie) a mis en place une formation pour les professionnels et les aidants.  

H.fr : La situation critique du secteur médicosocial appelle à des réponses urgentes qui ne peuvent attendre un prochain mandat (article en lien ci-dessous). Comment comptez-vous agir dans les trois prochains mois ?
SC Le 18 févier 2022 est organisée la Conférence des métiers du social et du médicosocial, qui va réunir tous les partenaires (employeurs, départements, syndicats...). L'idée, c'est d'avoir un cheminement très clair pour renforcer l'attractivité des métiers de l'accompagnement social et médicosocial.

H.fr : Quels sont les grands axes à suivre pour les années à venir ?
SC : Trois axes. Tout d'abord une accessibilité universelle dans la vie quotidienne (numérique, bâtiment, culture, etc.). Ensuite, une compensation du handicap à la hauteur des besoins de la personne, qui permette de l'accompagner dans tous ses lieux de vie ; c'est tout l'enjeu de notre 5e branche de l'Autonomie. Enfin, poursuivre le mouvement de simplification de l'accès aux droits.

H.fr : Avez-vous pris goût à la politique ? D'autres ambitions ?
SC : Ce n'est pas parce qu'on n'est pas élu qu'on ne fait pas de politique. J'ai été 25 ans présidente d'association et la loi de 2005, je l'ai tricotée de l'autre côté de la barrière, avec tous les politiques. Je faisais donc déjà de la « politique », c'est à dire un engagement au service des autres. Pour répondre à votre question, c'est un grand honneur d'avoir servi, aux côtés d'Emmanuel Macron, mon pays pendant cinq ans, même si je suis totalement consciente de ce qu'il reste encore à faire... 

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