Des biographes hospitaliers écrivent la vie de patients

Raconter sa vie avant de la quitter...L'association Traces de vie propose à des personnes vieillissantes, malades ou handicapées de laisser leur trace dans leur propre livre. Un accompagnement gratuit en 10 séances par des "biographes hospitaliers".

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Image d'une main qui écrit sur un cahier.

Par Agathe Devitry, Patrick Baert

"Je me suis enfermée dans ma tour d'ivoire..." Dans sa chambre d'hôpital à Colmar, Monique raconte sa cécité croissante, pendant que Stéphanie tape frénétiquement sur son clavier d'ordinateur. La vie de la vieille dame va bientôt s'incarner dans un livre, qui restera pour ses proches.

Raconter leur existence

Stéphanie de Sousa, 54 ans, est biographe hospitalière pour le compte de l'association Traces de vies. Elle se rend régulièrement dans des hôpitaux, des Ehpad, ou au domicile de personnes en fin de vie pour leur faire raconter leur existence pendant qu'il en est encore temps. "Chaque personne a une histoire unique", explique cette femme énergique et souriante. En cette journée d'automne, la nuit tombe sur les coteaux dorés des Vosges. Mais Monique, 78 ans, ne voit pas le spectacle qui s'offre à sa fenêtre. Assise dans un fauteuil roulant, elle déballe les épisodes d'une vie qui n'a pas été facile, entre des opérations à répétition et un mari exigeant. "Je suis malade depuis tout bébé, alors je m'adapte. Je ne me suis jamais plainte", résume-t-elle, pendant que Stéphanie note. "Il ne fallait pas que ça sorte de la maison."

Une vie en 10 séances

Cette fois, ça va pouvoir sortir, et sous la forme d'un livre de près de 90 pages, qui sera tiré à dix exemplaires. Monique en est à sa troisième séance d'une heure, sur un accompagnement total de dix séances. La première rencontre consiste à s'assurer que "c'est un projet du patient, pas de sa famille pour l'occuper", explique l'écrivaine. Cet accompagnement "va changer le rapport à la maladie, les patients vont être dans des projets. Ce n'est pas tous les matins qu'on vous propose d'écrire un livre".

Un accompagnement gratuit

Dans un contexte où la fin de vie fait partie des préoccupations nationales, le métier tend à se développer et à être reconnu. Mme De Sousa, qui a exercé pendant 15 ans en mettant des personnes âgées ou handicapées au contact d'animaux, a adopté sa nouvelle activité depuis plus d'un an, après avoir mis à profit le confinement pour participer à des ateliers d'écriture en ligne. L'accompagnement est offert gratuitement, il ne coûte rien à l'hôpital ni aux familles ; Traces de vies récolte des fonds auprès de mécènes ou d'institutions. Et ça marche : "Arrivé à un certain âge ou dans un certain degré de pathologie, il n'y a pas tant de projets possibles. L'accompagnement donne aux malades une autre façon de vivre pendant un certain temps".

Des discours très heureux

L'écrivaine retranscrit ce qu'elle entend au style direct en disant "je", comme si le récit avait été écrit de la main même de son interlocuteur. Elle s'interdit d'être "trop littéraire", afin que l'on puisse reconnaître la voix de celui qui parle, "y compris ses tics de langage". Parfois, la mort interrompt son travail avant la fin du témoignage. "On reste humain, le lien s'installe mais il faut prévoir qu'il s'arrête. J'aime dire que l'on fait un bout de chemin ensemble, c'est ensemble mais c'est un bout." Pour autant, côtoyer la fin de vie n'est pas forcément déprimant. "Malgré la maladie, il y a des discours très heureux, avec plein d'enthousiasme, il y a souvent des gens bien plus heureux et bien plus optimistes que dans la vie réelle", assure Mme De Sousa, dont le dialogue avec Monique est ponctué d'éclats de rire et de savoureuses expressions alsaciennes.

Dans le projet de loi ?

Ces "soins de support font du bien aux malades, aux familles, aux aidants et aux soignants", observe Christelle Cuinet, fondatrice de Traces de vies, association lauréate 2023 du concours de la fondation "La France s'engage". "La sphère publique s'est peu emparée de la biographie hospitalière", déplore-t-elle. Ce "nouveau métier" est encore "peu reconnu", mais la fondatrice ne perd pas espoir : "La biographie hospitalière pourrait faire partie du cadre des soins de support dans le projet de loi sur la fin de vie". Ce texte très attendu devrait être présenté au Conseil des ministres en décembre.

En attendant, Stéphanie achève sa séance avec Monique. "C'est pas intéressant ma vie", assure la dame aux cheveux blancs, qui vient de raconter comment, malgré ses handicaps, elle est venue en aide à son mari atteint de la maladie d'Alzheimer. "Ils disent tous ça...", sourit la biographe.

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