Depuis ses deux ans, j'ai toujours su que ma fille, Britanie, était différente. J'ai alors cherché à comprendre via de nombreuses démarches : CAMPS, CMPP, CMP, psychiatres, psychologues, hôpitaux... Durant toutes ces années, on me conseille de « faire un travail sur moi » car on me considère comme « nocive et trop fusionnelle avec mon enfant ». Ses nourrices la décrivent comme une fillette « sans émotion » tandis que Britanie présente des troubles de l'apprentissage repérés en milieu scolaire et notifiés à la MDPH (Maison départementale des personnes handicapées), qui accepte la mise en place d'un plan d'accompagnement avec intervention d'une AESH (Accompagnante d'élève en situation de handicap). Sans diagnostic ni prise en charge adaptée, la situation se dégrade rapidement à partir de 2015. Britanie a alors 10 ans.
« L'adolescence, madame, c'est normal ! »
Pourtant suivie par un CMP (centre médico-psychologique), ma fille manifeste de plus en plus de difficultés dans les interactions sociales et de gros soucis dans la gestion de ses émotions. Je tire la sonnette d'alarme. Toujours la même réponse : « Tout va bien, c'est normal ! ». La situation s'aggravant de jour en jour, et parce qu'on me répète de me remettre en question, je décide de faire appel à une AEMO (action éducative en milieu ouvert). Après plusieurs mois, le professionnel conclut : « Il n'y a pas de soucis d'éducation mais un problème de santé ». Lequel ? A son entrée au collège, en 2017, le comportement de Britanie devient réellement problématique. Elle néglige son hygiène, fait des crises de panique, manifeste une hypersexualisation, fugue, se scarifie, écrit sur son visage des insultes... Là encore, on me répond : « L'adolescence, Madame, c'est normal ! » ou encore « La scarification est à la mode, pourquoi faut-il absolument une raison médicale ? ».
Victime de pédocriminels
Cette même année, son neuropédiatre prend la décision de la faire hospitaliser. Mais la sectorisation l'oblige à aller dans un CHU de l'Est de la France. Elle n'a que douze ans et y côtoie une jeune fille en relation avec des pédocriminels*. Elle est incitée à poser nue sur les réseaux sociaux par cette adolescente qui ne sera jamais inquiétée ; je n'ai appris ces faits que bien plus tard lors d'une enquête judiciaire à la suite d'une plainte déposée contre deux individus identifiés pour incitation à la pornographie, puis en découvrant les agissements de ma fille sur son portable. En 2018, Britanie est admise dans un service de psychiatrie parisien pour faire des bilans avec l'objectif de comprendre l'origine de son comportement et, enfin, de pouvoir l'aider. Durant cette hospitalisation de cinq mois, elle est victime d'attouchements ; on me fait savoir que « cela arrive souvent dans les services hospitaliers » et que ma fille serait « borderline ». Par la suite, après avoir réclamé par recommandé les comptes-rendus d'hospitalisation (qu'on ne me remettra par bribes jusqu'en 2022 !), j'y lis que ma fille (alors âgée de 13 ans) « provoquait » et était donc responsable de ces attouchements. Il est aussi indiqué : « troubles de l'adaptation et troubles des conduites ».
Borderline, vraiment ?
Je décide alors de suivre une formation sur le trouble de personnalité borderline (TPB) mais on m'explique que Britanie est encore trop jeune pour pouvoir avoir ce type de diagnostic. Pour la première fois, j'entends parler d'autisme... Je poursuis mes recherches sur l'origine de ses troubles, son mal-être et ses comportement atypiques, réclamant maintes hospitalisations. Je suis alors signalée au titre d'une Information préoccupante (IP) par le CHU ; on m'accuse de rechercher des médecins complaisants pour obtenir des diagnostics de handicap. Pour ma fille... mais aussi pour mes autres enfants -je précise qu'à ce jour mes cinq enfants sont diagnostiqués et bilantés TSA (troubles du spectre de l'autisme) et/ou TDAH (trouble déficitaire de l'attention), tout comme moi-. Terrain génétique probable en cours de recherche !
Fin 2020, notre neuropédiatre nous recommande un psychiatre qui posera enfin le diagnostic d'autisme, complété par des bilans auprès d'un psychologue référencé dans le TAMIS (Annuaire de ressources autisme en Ile-de-France). Mais, à ce moment-là, alors que je tente d'empêcher Britanie de répondre à des sollicitations de pédocriminels sur les réseaux sociaux, elle se met en colère et disparaît. Je suis soutenue dans mes recherches par un collectif, le « C16 - Alerte disparition personne handicapée dépendante et vulnérable », puis par l'association fondatrice « 1 pour tous, tous pour l'autisme » (article en lien ci-dessous), qui m'accompagne depuis dans toutes mes démarches, tout en tentant de former et sensibiliser les différents intervenants parfois hostiles par méconnaissance de ce handicap.
Toutes les plaintes classées sans suite
Enfin retrouvée, ma fille est placée par l'ASE (Aide sociale à l'enfance). Les protocoles de soins et les courriers du psychiatre pour la stabiliser dans un hôpital formé à l'autisme ne sont pas respectés. L'ASE va jusqu'à interrompre ses traitements, remet en cause son diagnostic et refuse dans un premier temps le rendez-vous pris en amont pour faire les bilans programmés. Britanie, ainsi qu'une camarade de treize ans, est violée lors du placement dans le foyer où elle est hébergée. La police refuse de suivre le protocole (kit de viol, test de grossesse, HIV, MST), estimant qu'à quinze ans elle est majeure sexuellement, sans jamais tenir compte du fait qu'elle est autiste, avec par ailleurs une légère déficience intellectuelle.
S'ensuivent un nouveau foyer, une famille d'accueil, le retour au collège, une fugue encore, une nouvelle IP, une enquête judiciaire lancée par le juge, écoutant les arguments de l'ASE, même si la dernière s'est conclue par un « non-lieu ». Puis des viols, à plusieurs reprises, des plaintes toutes classées sans suite... Ce déni de justice conforte ma fille dans le fait qu'il est « normal qu'elle soit abusée et qu'elle serait donc coupable de ces faits ». Jamais la manipulation n'est évoquée, jamais sa vulnérabilité n'est évoquée, pas même par l'antenne régionale du Défenseur des Droits qui estime qu'elle « aurait eu des conduites à risques auprès de personnes adultes ». Pourtant, cette jeune fille a bel et bien été droguée, saoulée, mise sur le trottoir...
Un choc de plus...
Britanie n'a que seize ans lorsqu'elle tombe enceinte mais cette grossesse qu'elle souhaitait poursuivre est interrompue à sept mois car le fœtus présente de graves soucis, déclaré non viable. Un choc de plus pour mon enfant qui pleure son bébé mort-né, refusant de se séparer de lui le moment venu. Là encore, au sein du CHU où elle a accouché, la psychologue et la sage-femme ont remis en cause son diagnostic d'autisme. Les obsèques ont eu lieu le 22 avril 2022... Il s'appelait Isaac.
Voilà le récit, non exhaustif, de la vie d'une famille touchée par le handicap et l'autisme en France. Il ne concerne que Britanie ; mes autres enfants et moi-même sommes également en proie au déni, aux discriminations, aux insultes, de la part des administrations, des politiques, des médecins, du médico-social, de notre village, des gens tout simplement...
* Neuf femmes autistes sur dix disent avoir subi des violences sexuelles, souvent à plusieurs reprises et avant quinze ans. Une nouvelle étude française publiée en mai 2022 dénonce ces violences systémiques, espérant contribuer à améliorer la prévention et les traitements dédiés (article en lien ci-dessous).